Le Bal de Noël 1651

Navis acquiesça mais…

- … Mais tu ne penses pas que leur vie devait être bien ennuyante, j’ai sacrifié la danse au dépend de bien meilleurs choses.

Lassée de ce couple dont la valse ne faisait que se répéter, elle reprit un gâteau et le mâcher nonchalamment, elle pouvait prédire chacun de leur geste, et quatre et cinq, sixième pas et c’est repartit ! Sur le tempo rapide, leurs pas accéléraient puis freinaient sur le troisième temps, puis ils reprenaient… c’était d’une monotonie paradoxale. Elle s’accouda sur son menton et zieuta l’Ashworth, est-ce que ça l’intéressait lui ?

Si la rouge était un tant soit peu observatrice, elle remarquerait que l’attention de l’Ashworth lui était bien plus destinée à elle qu’au bal. C’était d’ailleurs le cas depuis son arrivée. Cette excuse de fête de fin d’année, de cavalière, n’était au final - pour le garçon - qu’un prétexte pour passer une soirée un peu spéciale aux côtés de la Castaway qu’il appréciait beaucoup. Il reprit d’un air nostalgique, mais sans qu’aucune tristesse ne vienne dompter ses traits.

« - Oh, moi ma mère insistait pour m’apprendre. Mais j’étais petit, je ne pensais pas que cela me servirait un jour. Aujourd’hui… Je pense qu’elle me tuerait si elle me voyait discuter plutôt que de danser avec ma cavalière. »

La musique résonnait dans l’enceinte et faisait presque culpabiliser le garçon, maintenant qu’il pensait à celle qui l’observait peut-être de quelque part.

« - Du coup… Est-ce que tu aimerais danser, le temps d’une musique ? »

Peut-être que ce n’était pas du tout ce que Navis attendait, mais la dextre gantée du garçon s’ouvrît à elle. Son regard, constamment chaud et animé, s’accompagnait d’un rictus presque timide, rare chez le jeune homme.

Jo s'était certes d'abord dirigé vers le buffet, guidé par le souvenir des toasts aux anchois des années précédentes. Mais il avait fini par essuyer ses doigts gras pour passer aux choses sérieuses.
Tel un Gaston Lagaffe des années 1600, il proposa maladroitement :

-Euh, et si on danse ?

Le passage au buffet était une "tradition" et la Poufsouffle attendit bien sagement que le zélandais fasse le plein d'énergie avant de lancer les hostilités.

- C'est si joliment proposé...

Cela faisait longtemps que la rousse avait compris que Johannes n'était pas le plus coutumier des règles du romantisme et cela l'amusait plus qu'autre chose. Si ça avait pu être déstabilisant au tout début, Eleanor n'attendait pas de lui de devenir différent maintenant, elle le connaissait que trop bien. Un léger rire se fit entendre avant qu'elle n'acquiesce, prête depuis son arrivée au bal à danse.

- Allons illuminer la piste de danse une nouvelle année encore !

Il fallait avouer qu'une petite partie d'elle prenait plaisir à briller devant l'assemblée.

Les danses s'enchaînaient et la nuit s'obombrait, mais Celonia continuait de s'amuser ! En fin de compte, elle n'avait même pas pensé au banquet, il faut dire qu'elle n'avait jamais eu grand appétit, mais elle se serait tout de même faite sermonner si ses parents avaient appris qu'elle n'y avait pas touché de la soirée. Jude évoqua de nouveau ses problématiques et elles semblèrent étonner grandement la jeune Harpis. Etait il vraiment en difficultés en cours ? Jusqu'alors, elle ne l'avait jamais remarqué... Etait elle à ce point égocentrique ? A moins que Jude soit simplement plus perfectionniste qu'il ne voulait le croire ? Cette pensée pesa un instant sur l'esprit de la jeune fille qui reprit ensuite :

- Si tu as du mal dans certains cours n'hésite pas à me demander en tout cas !

Dit elle d'une voix amène, espérant que cette phrase ne paraîtrait pas comme une preuve de suffisance de sa part.

- En ce qui concerne madame Lestrange... Je comprends tes réticences ! Mais si elle est la seule à pouvoir te répondre...

Elle hocha les épaules, ça serait un simple mauvais moment à passer mais, finalement, tout le monde devait passer par là et pas qu'une fois dans une vie !

-Comme d'habitude, on va les épater.

La piste de danse était certes un endroit où les différences sociales sautaient aux yeux. Les gosses de riches se pavanaient, vêtus de costumes extravagants ; les enfants de bonne famille récitaient des valses impeccables, inculquées par un répétiteur au milieu de la panoplie des savoirs de bonne société. Mais c'était aussi un espace où l'on ne pouvait tricher. Un maladroit, tout scolaire qu'il soit dans son entrainement, finirait invariablement par écraser les pieds de sa partenaire. Le talent au contraire éclaterait au grand jour. Par le miracle de son génie, les haillons d'un talentueux éclipseraient sur la piste l'habit superbe d'un médiocre aristocrate.

Persuadé de faire partie de la première catégorie - ses dernières performances le prouvaient suffisamment - Johannes entama donc une valse au bras de sa cavalière. Ils commençaient à se connaitre un peu, une certaine complicité reliait désormais leurs pieds, un-deux-trois-et-quatre, un-deux-trois-et-quatre.

Celonia se trouva étonnée par le refus qui lui fut adressé. Pour elle, demander de l'aide à ses camarades ne relevait guère d'une faiblesse ou de quoique ce soit... Malheureusement, elle n'était ni régie par une quête de revanche, ni accablée par des secrets à garder. La simplicité de sa situation lui rendait incompréhensible certains comportements. Cela ne la dérangeait pas en soi, mais elle voulait comprendre... Jude avait des phases et des mimiques qui semblait le pousser vers des comportements ou des paroles assez étranges, parfois ! Un mystère planait autour de lui et elle mourait d'envie de le percer !

Malheureusement, elle n'était pas assez avisée ou compétente pour reconnaitre ce qui pouvait simplement servir d'indice et tout un tas de théories farfelues voire délirante se bousculaient aux portes de son esprit, mais nulle ne trouvait grâce à ses yeux.

- Oh... D'accord.

Continua-t-elle, un brin tristounette. Finalement, Jude lui proposa d'aller voir madame Lestrange en sa compagnie et elle ne put s'empêcher de trouver cette question un petit peu étrange. Il venait de refuser son aide, puis de la lui reréclamer parce qu'elle pourrait faire office de faire-valoir auprès de la professeur de sortilèges ? Elle n'était pas certaine d'apprécier le raisonnement, ou même le rôle qu'il cherchait à lui donner.

- Je ne sais pas Jude... J'ai peur qu'elle comprenne que je viens avec toi juste pour qu'il y ait une élève d'une autre maison à tes côtés... Elle aurait sans doute une terrible image de moi si elle pensait ça !

Et cette perspective ne l'enchantait clairement pas, les sortilèges était la matière la plus importante à ses yeux et elle s'en voudrait de se mettre à dos la directrice des serpents.

Le jeune Poufsouffle perçoit un changement de ton chez sa cavalière alors que la soirée avait si bien commencé ce fut un changement rude, aux yeux du garçon, cherchant des indices partout.
Nous sommes rarement conscient de nos paradoxes et Jude n'en est pas une exception. Refusant l'aide de son amie pour après lui demander autre chose ne l'avait pas sauté aux yeux comme quelque chose de déconvenant mais il semble l'apprendre à ses propres dépens. Il n'a aucune idée de que dire pour se rattraper donc décide de continuer le fil de la discussion. Tout ne peut pas être raté sur une seule mauvaise impression ? En tout cas, c'est ce qu'il se dit en son for intérieur pour se rassurer.

- Je n'avais pas pensé qu'elle puisse le prendre cette manière. Je n'ai jamais voulu te mettre dans l'embarras.

Alors qu'ils continuent de danser son regard se porte sur ses pieds à la recherche des bons mots à dire pour rattraper la situation. Finalement il lève la tête.

- Désolé, on se parle tellement souvent que parfois j'oublie que ne nous ne sommes pas dans la même maison. Si un tel sortilège existe je voulais juste qu'on apprenne son existence en même temps.

Bon, change de sujet Jude, pensa--t-il, ne reste pas sur une conversation triste.

- J'ai appris que notre professeur de divination déteste la Gazette du Sorcier mais je ne sais pas pourquoi. Tu penses que c'est parce que le journal révèle que ses prédictions sont pas ... toujours ce qu'elles sont ?

Faute de meilleur terme poli. Intérieurement il remercie Maria de lui avoir parlé de ça.

C'était l'avantage d'avoir un partenaire avec qui on se connaissait bien, autant pour la danse qu'en général. Il n'y avait pas vraiment besoin de réfléchir, ils savaient comment l'autre fonctionné et pouvaient donc laisser la magie opérer sans avoir à réfléchir à leurs mouvements ou à regarder leurs pieds. Eleanor avait donc tout le loisir de dodeliner de la tête en rythme avec la musique, toute jouasse de pouvoir danser, ce qui se manifesta pour un sourire rayonnant qui ne quittait pas son visage.

- On le refait cette année ?

Elle parlait bien évidemment de ce fameux portée qui faisait leur célébrité, il y avait peut être des admirateurs qui n'attendaient que ça dans la salle.

Jude semblait avoir été abattu par les réponses de l'Harpis et un bref sentiment de culpabilité s'instilla doucement dans le coeur de la jeune fille. Avait elle été trop rude dans sa réponse ? A moins que sa déception quant au refus que Jude lui avait présentée n'ait paru trop rude ? Finalement, l'explication que Jude lui en donna renforça sa propre culpabilité... Il semblait ne porter que des bons sentiments... Mince, Celonia n'avait pas pour habitude de s'imaginer dans le rôle de "la méchante", mais c'était clairement l'impression qu'elle avait en cet instant. Est-ce que, en dépit de sa volonté propre, elle était en train de se laisser gagner par le "jeu" de Poudlard ? Depuis qu'elle était à Poudlard, elle avait réalisé que le monde qu'elle avait connu jusqu'alors était ridiculement petit et la place qu'elle s'était imaginée dans celui-ci n'avait jamais parue aussi bancale. Elle craignait désormais de changer et peut être pas dans les dispositions qu'elle voudrait, ce qui la terrifiait singulièrement.

Chassant ses noires pensées de son esprit en ébullition, elle secoua vivement sa tête, ébranlant son chignon, avant d'afficher un sourire qui se voulait rassurant à son cavalier.

- Ne t'inquiète pas ! Continua-t-elle, Jude était définitivement plus tendu qu'elle. Il faudra qu'elle fasse plus attention à ce qu'elle dit ou, en tout cas, qu'elle apprenne à dire les choses de la bonne manière. C'est très gentil en tout cas de m'inclure dans ta quête !

Continua-t-elle, amusée, avant de se rendre compte qu'elle n'avait elle même pas de véritable objectif. Certes, elle voulait être libre et voulait apprendre autant de choses que possible à Poudlard pour se donner les moyens de voler de ses propres ailes, mais... C'était si flou, l'objectif était si lointain et si sujet à interprétation... Peut être devrait elle se focaliser sur des objectifs plus concrets ? Elle ne savait pas trop, mais cette idée lui pésera à l'esprit un moment !

- Peut être qu'il n'apprécie juste pas le principe même de la gazette ? Elle fronça les sourcils, s'accordant un moment de réflexion. Personne ne contrôle ce que dit la gazette, mais tout le monde la lit ! Peut être qu'il a peur des pouvoirs qu'ils ont !

Cette pensée ne paraissait pas absurde pour un sou aux yeux de la jeune fille.

-Je crois qu'on est obligés... on s'est fait une réputation je crois. Ils n'attendent que ça.

Il accélérait progressivement le tempo de la danse, il s'agissait d'être chaud, d'attirer le flow, le mojo, d'être "dans la zone".

Voilà plusieurs semaines qu'Eleanor attendait ce moment où le meilleur duo de danseur allait pouvoir attirer la lumière une nouvelle fois. Elle suivit le tempo de son cavalier, c'est qu'il s'agissait d'être chaud pour être au summum de ses capacités. Grâce et élégance accompagnaient leurs mouvements qui n'étaient pourtant que la préparation de quelque chose de bien plus grandiose encore. Ils continuèrent ainsi plusieurs minutes.

- C'est quand tu veux !

Mentalement comme physiquement la Poufsouffle était prête, maintenant il ne tenait plus qu'à Johannes de lui signaler le départ.

-Bon, ben, au prochain refrain de la musique, go !

Il visualisa rapidement le geste, mais comptait surtout sur l'instinct et le talent, comme les dernières fois. Ils s'étaient vraiment fixé eux mêmes des standards... Et la foule finirait par se lasser, il faudrait inventer de nouvelles choses, s'entrainer... Mais il faisait tout à l'envers, déjà réussir le mouvement de ce soir ! Il se reconcentra, prêt à déclencher le mouvement, dès que le motif musical idoine arriverait.

Eleanor se jeta sur Johannes qui, une fois encore, réussit sa portée. Elle écarta les bras quand elle se trouva en l'air, tel une magnifique colombe, tout en observant brièvement l'assemblée impressionnée depuis là-haut avant de redescendre et de se réceptionner avec grâce. La jaune aimait toujours autant ce petit frisson quand elle était en suspension. Une fois les pieds à nouveau au sol, elle applaudit en rigolant, son visage faisait montre d'une joie incommensurable.

- On l'a encore fait ! Tu es trop fort Jo' !

Pétillante, la Poufsouffle regarda du coin de l'oeil les réactions autour d'eux, elle appréciait être au centre de l'attention quand c'était positif.

Arlès, qui s'était remis à danser avec ca cavalière peu après qu'elle se soit amusée à réajuster le col de son cadet au nœud papillon, tourna la tête lorsqu'il vit Eleanor décoller. Il plissa les yeux, l'air intrigué, une lueur d'intérêt pointant dans ses pupilles. Sans un mot, il se tourna vers sa cavalière, une expression analytique au visage.

— Hm ? Ah ! Pourquoi pa- Entama t-elle avant de réfléchir à un détail concernant les idées potentiellement catastrophiques que pourrait avoir son cavalier pour "améliorer" son porter. Ah non non non ! Oublie cette idée tout de suite !

Arlès fit la moue, haussa les épaules, puis repris sa danse avec Aurore, sous l'œil mauvais de quelques personnes...

Le jeune garçon fut immédiatement rassuré par le sourire rassurant de sa cavalière. Peut-être était-ce juste une erreur de communication ou de compréhension ? En parlant de souci de communication , Jude n'a aucune idée si la réponse de Celonia est finalement un non poli ou si elle souhaite venir avec lui. Tant pis, il y a des choses plus pressantes à faire. Et pourtant, même si ce n'est qu'une politesse, le jeune Jude ne peut s'empêcher de se sentir touché par les paroles de sa cavalière. Il souhaiterait l'impliquer dans ses projets et ses craintes, faire d'elle une confidente, mais il éprouve de la crainte quant à ce qu'elle pourrait penser de lui ou à la possibilité que leur amitié ne soit pas aussi solide qu'il l'imaginait. Ariel lui a bien enseigné : A Poudlard tout le monde est un ennemi potentiel et ne révéler à personne, sans aucune condition, son ascendance magique. Ses parents sont sorciers et il s'appelle Leigh. Si révéler ses origines est une telle crainte que serait-il du reste qui a l'air bien plus dangereux encore ?

- Je n'y avais pas pensé. J'ai directement pensé que c'était lié à ses pouvoirs de divination.

Tout doucement l'ambiance du bal commence à sonner sa faim. Le jeune garçon n'a même pas eu le temps de penser de manger au buffet ce qui, pour un Poufsouffle, démontre à quel point il a apprécié cette soirée en la compagnie de sa cavalière. Avec un léger sourire en coin, il finit par avouer.

- Tu es vraiment maligne.

"Je devrais être plus comme elle et ne pas mettre la charrue avant les boeufs" pensa-t-il. Il a failli commettre la même erreur qu'avec James en propageant quelque chose de faux et de non vérifier.

La musique s'arrête. Jude recule pour effectuer une révérence, comme lui avait appris sa cavalière au début du bal.

- Merci pour ce moment, mademoiselle Harpis.

La théorie de Jude concernant l'affaire du professeur de divination semblait l'avoir amusée. Il faut dire que le bonhomme était un sacré olibrius, à tous les égards. Toutefois, ce qui la choquait le plus, c'était toutes les théories farfelues qui planaient au dessus de lui. Elle se souvenait même qu'il était le premier professeur dont un autre élève lui avait parlé puisqu'Alija avait déjà évoqué son cas lors de son tout premier voyage vers le château magique. Pour le reste, Celonia ne voyait que peu de gens pour des ennemis. Après tout, pourquoi devrait elle ? Elle était une sorcière, de sang pur de surcroît, sa place était ici pour toute sa scolarité et elle était bien décidée à ne laisser à personne l'opportunité de remettre ces faits en doute.

- Tu as peut être raison...

Evoqua-t-elle sans trop savoir sur quel pied danser, sans mauvais jeu de mots. En l'état, pour elle, le professeur de divination était un vieux bonhomme qui aimait persifler et maugréer et cela s'arrêtait là. Elle n'avait pas songé, jusque alors, qu'un tel comportement puisse trouver une quelconque justification plus profonde. Le compliment de Jude arracha à la jeune fille un sourire enchanté et, sans doute, un peu trop fier.

- Merci !

Dit elle, sans pour autant rougir, estimant sans doute que ça n'était pas une qualité sur laquelle elle avait besoin d'être vantée. Finalement, les ultimes notes de ce bal furent jouées et Celonia suivit Jude, lui accordant à son tour une révérence.

- Merci à vous monsieur Leigh !

Dit elle, contente de sa performance du soir ! Il y aura d'autres bals, mais pour une première, elle pensait s'en être bien sortie !

Et voilà, pas plus compliqué que ça ! Bon, il fallait se l'avouer, ce porté là n'était pas aussi brillant que ceux des années passées. Il avait senti ses bras trembler un peu, ses appuis n'étaient pas pleinement assurés, le mouvement semblait moins fluide. si un expert aurait vite repéré ces petites faiblesses, elles restaient sûrement imperceptibles aux yeux des autres élèves qui se contentaient des pas basiques. Derrière l'apparent succès, c'était un avertissement sans frais. Il faudrait se préparer un peu l'année prochaine... Mais fi de tout cela pour le moment ! Il afficha un sourire radieux, indifférents aux regards autour. Les nouveaux de première année découvraient la pirouette, ils devaient en avoir plein les mirettes.

-Fort ? Bah, tu pèses pas grand chose, pas besoin d'être si balaise que ça !