Les Trois Balais

Au fur et à mesure que ces mots dénués de sens sortaient de la bouche du garçon, au plus les sourcils de la jeune Ana se fronçaient. La jeune fille n'éprouvait aucune sympathie envers ce jeune homme qui pensait pouvoir changer le monde alors qu'il n'était rien d'autre qu'un Triple Idiot. Comment osait-il parler de la sorte du conseil des sorciers ?

- Dan est un ivrogne, et tu sais ce qu'ils disent les ivrognes ? Ils disent n'importe quoi. Viens une seule soirée ici, et tu en verras des dizaines, des gens comme Dan.

Alors qu'elle avait élevée la voix, la venue de sa mère qui déposait deux jus de Branchiflors la calmait un tant soit peu. Les deux boissons étaient verdâtres, et un oignon dépassait de chaque verre, planté sur un bâtonnet. La spécialité des Trois Balais était servi. Ses deux yeux se plantaient dans ceux de James, un air de défi se dessinait sur son visage.

- Aider les gens ?! Sérieusement ? Elle baissait à nouveau sa voix. Et toutes ses maisons qui ont vu le jour là, dans le quartier des réfugiés, c'est quoi peut-être ? Toutes ces familles qui se sont installés ici ? Les patrouilles de Sorciers qui arrivent ici pour escorter les familles ? Si tu arrives à rentrer à Poudlard, c'est grâce à eux. Ils contrôlent la situation.

Un air neutre gagna le visage de l’Ashworth. Son interlocutrice ne savait visiblement pas séparer l’ivrogne de ses propos, ou peut-être n’avait-elle aucun recul sur la situation actuelle au-delà de sa propre contrée. Un simple sourire remercia la mère de la Dawson, avant que la mine de James ne se décompose en découvrant le breuvage qui leur était servi. Ce n’était pas très appétissant…

Mais le regard défiant  et le monologue d’Ana captiva son attention. Il écouta toutes ses paroles sans trahir la moindre opinion, gardant un visage détaché à la leçon que lui faisait la résidente des Trois Balais. Une fois qu’elle eut fini, James soupira en hochant la tête négativement, comme s’il jugeait qu’elle se trompait sur toute la ligne. C’était le cas. Il tapa soudainement du poing sur la table, et jugea la demoiselle d’un regard accusateur.

« - C’est grâce à beaucoup de gens si je suis là aujourd’hui, mais sûrement pas grâce à eux. Ils ne contrôlent rien du tout. Tu ne sais pas de quoi tu parles, tu n’as aucune idée de ce qu’il se passe. Toi t’es bien au chaud ici et tu sers des jus.»

Le garçon s’empara de son verre gracieusement offert et prit une gorgée. Il grimaça.

« - Et ils sont même pas bons. »

La jeune fille avait visiblement blessé le garçon, qui comme avec Abigail plus tôt dans la semaine, se défendait en plongeant dans la méchanceté. Mais aucune de ses paroles n’était inventée pour faire mal, James ne faisait qu’être franc.

Ana sursautait lorsque son interlocuteur décida de taper de son poing sur la table, encore une fois pour se faire remarquer. Elle ne s'attendait pas à une telle réaction de sa part, elle qui n'avait pourtant dit uniquement son avis. De quel droit se permettait-il de la juger ? Il ne connaissait absolument rien à sa vie, alors pourquoi l'attaquait-il personnellement ? La jeune fille restait bouche bée, alors que James continuait ses méchancetés.

En plus d'être méchant, il mentait ! Tout le monde appréciait le jus de Branchiflors, et sa maman les réussissait mieux que personne. Son sang bouillonna à l'intérieur de son corps, et l'envie de lui déverser le jus de Branchiflors sur sa tête la démangeait. Mais ce serait gâcher ce doux breuvage pour une telle personne. Méprisant James du plus profond de son âme, Ana ne comprenait pas d'où venait sa méchanceté soudaine, alors qu'il venait dans SA maison, devant SA maman, à boire SON jus qu'il lui avait été offert. Un manque de respect que la jeune fille n'oubliera pas de si tôt. Sentant les larmes monter, elle se levait, ne prenant même pas la peine de boire une gorgée de son jus, chose assez rare pour le souligner.

- Va-t-en d'ici ! T'es pas le bienvenue. J'espère que tu passeras jamais les portes du château, ça ferait du bien à tout le monde.

En disant ces mots, elle tourna le dos à James, n'attendant nullement sa réponse avant de monter à l'étage en courant.

James leva les yeux au ciel et s'enfonça dans sa chaise. Il soupira, observant la jeune fille partir sans la retenir. Pourquoi fallait-il que cela finisse ainsi ? Il était pourtant venu avec de nobles intentions... Le garçon quitta le lieu.

Un jeune homme d'une quinzaine d'années se trouvait non loin des deux énergumènes. Le visage pale comme la mort, les mains posées sur les genoux. Il déglutit en repensant à l'affreuse boisson susmentionnée.

— C'est vrai qu'il est pas bon, ce jus, murmura t-il pour éviter d'être forcé à en boire par la gamine au gosier de Doberman.

Il se leva par la suite et s'en alla peu de temps après, ne se sentant pas en sécurité dans cet endroit.

L'éminent professeur de botanique était assis à une table, dans une partie reculée de l'auberge.

Bien conscient du fait que sa condition d'africain risquait d'attirer l'intention, voir même de lui valoir des ennuies, ses mains étaient gantées et une grande capuche surplombait sa tête et dissimulait suffisamment son visage pour passer incognito.

Sa main droite empoignait avec force une chope de branchiflor qu'il s'évertuait à vider de son contenu. Face à lui sur la table, pas moins de 6 chopes vides étaient disposées sur celle-ci. Visiblement, la blanchiflor venait de trouver un nouvel adepte.

Ce breuvage est vraiment incroyable...Que-dis-je, stupéfiant ! Il me rappel la saveur, la teneur, l'onctuosité, le goût, la sapidité du tchibi-tchibi-galou ! Pensait-il à voix semi-haute.

A ces mots, il sorti de sa besace une grande fiole dans laquelle il versa ce qu'il restait de sa chope. En prévision d'une petite soif dans la nuit peut-être ?

Il déposa ensuite quelques piécettes sur la table et s'en allât.

Plusieurs femmes étaient présentes ce soir-là dans l'auberge. Certaines discutaient entre elles, quand d'autres servaient des bièreaubeurre et autres breuvages aux clients du soir. Parmi ces serveuses, une femme à la chevelure blonde et bouclée était au comptoir. Si elle n'avait rien à voir au premier coup d'œil avec Ana, un œil avisé pouvait reconnaître quelques similitudes au niveau des traits du visage. Sans que les Trois Balais ne soient pleins, il y avait tout de même quelques clients présents, et les serveuses semblaient occupées.

Alors que la femme blonde qu'il venait d'apostropher allait lui servir une bièreaubeurre comme c'était le souhait d'une majorité des clients de l'auberge, son visage vint croiser le regard du professeur à l'évocation de Poudlard. Elle connaissait le nom de ce professeur, assurément, mais c'était avant tout le mot "Poudlard" qui avait attiré toute son attention.

- Elisabeth Dawson, bienvenue au Trois Balais...

La femme venait de se présenter avec une voix qui était pleine d'interrogation. Il n'était en effet pas courant de voir un professeur côtoyer l'auberge, et encore moins de demander à voir la tenancière des Trois Balais. Alors, l'inquiétude pouvait se lire sur le visage d'Elisabeth. Agée d'une trentaine d'année, la Dawson avait un visage bien plus rond que sa fille, des cheveux blonds et bouclés qui contrastaient avec les cheveux noirs et lisses d'Ana, ainsi que des sourcils bien plus fins. En revanche, sa silhouette, sa voix, ainsi que la forme de ses yeux ne pouvaient tromper.

- Est-ce que c'est ma fille ? Elle va bien ? Qu'est ce qu'il s'est passé ?

Quelques serveuses et clients avaient détourné le regard. Elisabeth, et Ana, n'étaient visiblement pas des inconnus ici.

Les épaules d'Elisabeth s'abaissaient légèrement, signe qu'elle était rassurée qu'il ne s'est rien passée avec sa fille. Un peu décontenancée par la proposition du professeur, elle regardait autour d'elle, avant de lui indiquer les escaliers.

- Oui, bien sûr... Nous pouvons aller dans le bureau, à l'étage. Première porte à droite en montant les marches.

Elisabeth lui montrerait la voie si l'endroit lui convenait.

Certaines personnes se retournèrent dans la taverne.

— Regardez... Ce ne serait pas Néarque de Malpas ? Le célèbre auteur ?
— Si je crois bien...

Quelques personnes, sûrement des lecteurs, lui firent un hochement de tête sans trop oser s'approcher, quand d'anciennes connaissances vinrent le saluer.

Ils arrivèrent finalement dans le bureau, et Elisabeth fermait la porte. Allumant une bougie pour y voir plus clair, la femme se retournait finalement vers Néarque de Malpas, un sourire aux lèvres. La mère d'Ana était bien curieuse de ce que ce professeur allait pouvoir lui raconter.

- Eh bien... Je vous écoute ! Je vous avoue que j'ai bien du mal à comprendre votre venue ce soir !

Elisabeth écoutait parler avec attention son interlocuteur, sans l'interrompre comme l'aurait très certainement fait Ana. Elle savait mieux que personne que sa fille avait un caractère bien trempée, mais elle ignorait que cela allait poser des problèmes au sein même du château. Pire encore, elle n'en avait aucune idée, les lettres d'Ana qu'elle recevait n'étaient que positives. Si Ana aurait très certainement prit très mal la remarque du professeur sur l'éducation, Elisabeth ne sourcillait pas le moins du monde, s'asseyant sur la chaise que lui avait tiré Néarque. Elle inspirait grandement, comme si la Dawson cherchait ses mots.

- Ana... Ana a toujours été difficile. Son caractère m'a donné du fil à retordre, je ne vous cache rien... J'ai néanmoins fais de mon mieux afin qu'elle reçoive une éducation exemplaire...

Elle passait une main dans ses cheveux, cherchant le regard de Néarque.

- J'ai été ferme avec elle quand il le fallait... Mais comprenez-là, à onze ans, être toute seule dans un château... Oh pauvre Ana, ça doit être si difficile pour elle.

Elisabeth prit une mine triste, avec une compassion immense pour sa fille. Visiblement, c'était sa petite protégée. Elle poursuivit.

- Je suis vraiment navrée qu'elle vous donne du fil à retordre... Mais je suis certaine qu'une fois la 1ère année passée, elle montrera une toute autre image d'elle.

- Un idiot qui a failli à son rôle de père.

Elisabeth venait de répondre du tac au tac. Sa gentillesse apparente venait d'ailleurs de se dissiper à l'évocation du père d'Ana, et Elisabeth venait de dire ces mots d'une manière assez sèche.

- Il n'y a vraiment rien à dire à son sujet. Il valait mieux pour elle qu'elle grandisse sans figure paternelle.

Elle voulait visiblement couper court à ce sujet, ne laissant pas le temps à Néarque de surenchérir.

-Ne soyez pas trop dur avec Ana, s'il vous plait... C'est une jeune fille très gentille, malgré ce qu'elle peut montrer.

Elisabeth hochait la tête, se levant de sa chaise.

- Aucun problème. N'hésitez pas à repasser au comptoir, une bièraubeurre vous y attendra certainement, Monsieur de Malpas.

Elle s'approchait de la sortie et ouvrait la porte, le comportement de sa fille l'inquiétant quelque peu. Elle lui en touchera très certainement un mot dans le futur.