Le gaillard d'avant

Le sourire de l'écossais s’étira. Il demeura silencieux et joignit son regard à celui de la bleue. Voilà qu’elle venait peut-être d’enfin cerner sa particularité ?

Cela ne fonctionnait pas mais Abigail déduit qu'il fallait "reprogrammer" le gant avant de lui ordonner une nouvelle action. Ce qu'elle fit, ce qui lui coûta de l'énergie, mais au moins elle avait pu rire un peu. Elle cessa tout lien finalement avec le gant afin que celui ci ne retrouve une attitude normale pour que James puisse le récupérer. Après quelques secondes de battement, Abigail prise de fatigue, reprit la parole.  

- Merci.

Simple et efficace.

- Tout n'est pas encore parfait, mais j'y vois plus claire maintenant.

Elle pouvait donner vie à la matière.

La pichenette, soudaine, inattendue, surprit l’écossais qui ne tarda pas à froisser son gant dans sa paume, empêchant toute autre action de sa part. Il le renfila ensuite, l’air faussement ennuyé par l’initiative de la demoiselle, dont il était fier.

« - Ça m’apprendra à t’aider… » glissa-t-il simplement, armé d’un fin rictus.

Un sourire qu'elle partagea.

- Il n'y a que les baguettes qui ne se retournent pas contre leur maître.

Enfin lorsqu'ils passaient leurs années d'apprentissage et que les échecs se faisaient bien plus rares. Un bâillement échappa à Abigail, utiliser sa capacité maintenant à une heure tardive l'avait encore plus fatigué.

- Je crains de ne pas pouvoir veiller encore longtemps...

Elle s'était réinstallée sur sa partie de caisse en bois.

Un bâillement transmis, qui vint être couvert de sa main droite avant qu’il ne reprenne.

« - Et toujours rien à l’horizon. »

Ce n’était visiblement pas cette nuit que l’Égypte dévoilerait ses courbes. Le silence retombait lourdement entre chaque prise de parole, seulement bafoué par le vent. Ils étaient seuls, tranquilles, calmes, au beau milieu de la mer méditerranéenne. C’était une situation assez irréelle, dont James profitait simplement.

Peut être aurait-elle dû écoute Mr Blackwine lorsque ce dernier lui avait indiqué qu'il fallait attendre la matinée pour apercevoir les côtes égyptiennes... Elle lui avait rappelé qu'il n'avait jamais été un grand géographe.. Ils étaient seuls, calmes, au beau milieu de la mer méditerranée. Un moment propice pour se dévoiler un peu plus, mettre sur la table des sujets qu'elle n'évoquait jamais. La nuit, la fatigue étaient deux éléments qui permettaient aux langues de se délier, de parler à coeur ouvert.

- Dis moi James...

Sa tête pivota vers le Serpentard.

- Tu es proche d'Eleanor ?

Les relations fille/garçon, voilà un sujet qu'ils n'évoquaient pratiquement jamais par pudeur peut être ? Elle ne savait d'ailleurs même pas si Alija et James menaient ce genre de conversations.

S’il pouvait s’attendre à bien des sujets venant de la demoiselle, en voilà un qu’il ne suspectait pas. Ses sourcils se froncèrent légèrement, révélant une certaine incompréhension, tandis que ses bras se croisaient devant son torse. Pourquoi cette question ? La rousse lui avait-elle demandé de l’aide ? Non, cela ne collait pas. L’écossais ne réussissait pas à faire de lien.

« - Eleanor ? »

Étaient-ils proches ?

« - Pas vraiment, non, même si je l’apprécie. Mais pourquoi cette question ? »

Son regard fixé sur l’aiglonne, James souhaitait visiblement en savoir plus.

La fatigue l'aidait à parler et à se "confesser" mais elle regrettait déjà d'aborder ce sujet, elle ne savait pas vraiment ou cela allait la mener.

- Ah d'accord.

Dit-elle simplement.

- C'est que... Je te cherchais la dernière fois et je t'ai vu avec Eleanor profiter de l'aube, vous aviez l'air de bien discuter... Aucune once de reproche, il s'agissait juste d'une observation. Je sais que c'est pas le genre de choses dont on parle généralement mais... La jeune femme eut un moment de difficulté, elle ne trouvait pas les bons mots, c'est que c'était inhabituel. Enfin on grandit... Je me suis dit peut être que ? Peut être que tu ressens quelque chose envers elle ?

Si c'était le cas, Abigail était elle la personne à qui James pouvait en discuter ?

Malheureusement et malgré leur proximité évidente, ce n'était pas le cas, Abigail n'avait rien d'une confidente à qui confier ses amours. James prit une lente inspiration, puis soupira en détournant le regard vers l'autre bout du navire. Il reprit alors qu'il faisait de petits hochements de tête négatifs, revenant doucement à la demoiselle assise à côté de lui.

« - Qu'est-ce que tu me racontes ? »

Il semblait presque en colère, peut-être déçu. Et pourtant, quelque chose en lui sonnait faux, comme si ce même quelque chose le gênait et l'empêchait d'être totalement honnête. Il se leva.

« - La prochaine fois, viens directement au lieu d'épier. Je déteste ça. Et ça évitera que tu t'imagines n'importe quoi. »

Un "pff" suivit son ton plutôt sec, signe de son agacement. Ses mains resserraient ses gants sur ses poignets, dans un toc caractéristique, alors qu'il était sur le départ. Son regard était en tout cas posé sur l'entrée des entreponts, plus loin.

Ce qu'elle craignait en partie arrivait... James, comme elle, n'avaient jamais échangé sur ce genre de sujets et si Abigail se sentait capable d'en parler plus ouvertement, la réaction de James ne l'incita pas à continuer. Elle adorait sa présence mais qu'il pouvait être susceptible quand sa curiosité souhaitait éclairer certaines zones d'ombre. Elle sentait son ami en difficulté. Cette réaction, elle la retrouvait sur d'autres sujets pesants, il devenait vulnérable ce qui l'irritait et entrainait cette réaction hostile.

- Je n'ai pas épié, je me suis approchée car je pensais que tu étais seule puis je suis partie directement.

Qu'on ne la fasse pas passer pour ce qu'elle n'était pas...

- James, il faut que je te parle d'autre chose.

Elle cherchait son regard.

James la croyait, et s’en voyait rassuré. Son regard, toujours agacé, revint à la demoiselle qui semblait souhaiter son attention.

« - Hm. »

Il l’écoutait.

La jeune fille prit une bouffée d'oxygène.

- Tu es la première personne à qui je vais le dire, Maria n'est pas encore au courant...

Elle ne savait pas pourquoi elle allait le dire en premier à James, peut être car les circonstances étaient réunies pour le faire. Peut être pour autre chose ?

- Stewart Harding, le fils du fabricant de baguette. James le connaissait forcément, c'était un Serdaigle qui avait terminé l'école l'année dernière. Il a... Il a rencontré ma mère pour... pour me demander en mariage.

Et l'on pouvait sentir la détresse d'Abigail... Stewart n'était pas un mauvais garçon, mais cette initiative la contrariait. Elle ne savait pas comment traiter la nouvelle. Il y avait un mélange de plusieurs émotions, la perspective d'un mariage devait procurer des émotions intenses mais Abigail ne le ressentait pas.

Spoiler:

Le silence.

Tandis que les traits de l'écossais se détendirent d'abord, peut-être sous le poids de l'annonce, ils se froissèrent ensuite. La mâchoire du jeune homme se serra. Ses pupilles de charbon, elles, ne décollèrent plus de la demoiselle, qui ne riait pas. Pourquoi ne riait-elle pas ? Cette blague était certes maladroite, peu amusante, mauvaise, odieuse, elle en restait une blague. Il attendait ce rire, le chassait comme bien souvent. Il attendait le "mais". Il attendait la suite.

Rien ne vint, hormis le silence.

Alors James décala son poids de sa jambe gauche à sa jambe droite, comme s'il s'empêchait là de tomber. Son cœur venait de se mettre à trembler, s'accélérant, le poussant à inspirer puis expirer longuement, cachant ainsi la plupart de ses premières pensées. La femme qui lui faisait face ne souhaitait sûrement pas les entendre. Et puis... Il était trop digne pour les prononcer. Non, pourquoi le prendrait-il mal ? Était-ce si grave ? Avait-il pensé que ce jour n'arriverait jamais ? L'héritière Wright était de bon sang, jolie, intelligente, curieuse, empathique... Elle avait son caractère, son égo, qui contrebalançait évidemment ce premier portrait trop parfait. Mais tout semblait logique, cohérent. C'était là ce qu'elle méritait. N'était-ce même pas là tout le bien qu'il lui souhaitait ?

Toujours ce même silence.

Cette vie partagée les avait liés. Du plus loin qu'il se souvienne, James la protégeait déjà de l'attaque d'un strangulot. Qu'est-ce qu'elle était bizarre, cette fille ridicule qui parlait à sa poupée. "Babygail" faisait même peine à voir. Pour d'autres peut-être, car pour lui, c'était surtout la première à lui avoir tenu tête. Qu'est-ce qu'elle pouvait se la jouer... Une vraie pipelette, qui pensait tout savoir mieux que tout le monde, qui savait tout mieux que tout le monde. Insupportable. Il n'était à ses yeux qu'un sauvageon. Cette pensée aurait pu le faire sourire, si elle ne venait pas de traverser son esprit tel un éclair qu'il ne pouvait attraper. James avait alors fait le nécessaire pour l'avoir à ses côtés, inconscient de ce qui le motivait réellement à côtoyer la bricoleuse. L'Enchanteresse, c'était ce qu'elle n'avait pas mis longtemps à devenir. Les péripéties s'enchaînèrent vite, comme les années, et ne firent qu'accentuer ce sentiment d'admiration qu'il éprouvait pour elle.

Il inspira, puis déglutit.

Puis vint Shane, un être abject qui représentait tout ce que l'écossais pouvait haïr. Mais même cette colère, cette rage, qui grondait en James lorsque la demoiselle, à peine sauvée des griffes de son ravisseur, prit sa défense, ne suffit pas à briser ce lien unique qui les unissait. Pourtant, l'écossais en avait souffert. Plus qu'elle ne pouvait l'imaginer. L'adolescente l'avait à cet instant rendu vulnérable, faible, le poussant à marcher sur sa propre dignité pour elle, et il l'avait fait. Plus jamais il ne souhaitait revivre cet instant. Cela l'avait changé. Cela transforma aussi leur quotidien commun, dont Alija, ne faisait plus vraiment partie. Ils continuèrent de grandir côte à côte, de mûrir, d'évoluer. Chacun influença l'autre à sa façon. Et l’œil de la Flamme ne trainait jamais bien loin. Comme avec William qui avait été éconduit du club de Divination alors qu'Abigail était présente dans la pièce à côté, ou encore quand James s'était immiscé dans sa conversation avec Arles à bord du Belem. Il n'était jamais bien loin, protecteur, ou peut-être jaloux. Jaloux d'une place à laquelle il ne pouvait pourtant pas prétendre.

Sa dextre s'était serrée, un léger instant, avant que ses lèvres ne se décident enfin à bouger. Tout cela n'avait duré que quelques secondes, celles qui lui avaient fallu pour encaisser.

Encaisser le choc. Celui de mettre des actes sur la faveur qu'il avait accordé à son professeur, la veille. Au-delà des dangers qu'il pouvait lui apporter, c'était son sang qui l'avait toujours empêché d'espérer, d'agir. Jamais il ne déconstruirait la femme qui se tenait devant lui. Et pourtant, cette détresse... Il aurait aimé pouvoir lui apporter ce dont il était incapable. C'était là la limite de son pouvoir, de sa réputation, de son talent ou de sa flamme. Le Destin l'avait condamné.

« - C'est... » James se racla la gorge, puis reprit, calme. « - C'est une bonne personne. »

Il ne trouva rien d'autre à dire. Son cœur saignait.

Abigail ne pouvait pas deviner les pensées de James durant ce laps de temps, comme lui ne pouvait pas deviner les siennes. De la même manière que le Serpentard, la préfète des bleus, " Babygail " ou encore" Crazy Abi" comme on avait apprécié l'appeler avant qu'elle ne se lie d'amitié avec son duo de brat était traversé par un nombre incalculable de souvenirs. Depuis son arrivée au quartier de réfugiés de Pré au Lard en 1949, James n'avait jamais été bien loin. La première fois qu'elle l'avait vu il lui avait fallu plusieurs minutes pour prononcer le moindre mot et lorsqu'elle s'était enfin résolue à lui adresser la parole, Abigail s'était servie du Serpentard pour déverser toute sa frustration accumulée depuis son arrivée à Pré au Lard et la situation injuste dans laquelle l'Inquisition les avait plongé.

Depuis ce jour, elle ne l'avait jamais vraiment quitté. Abigail avait apprécié attendre à la fenêtre de sa maison, guettant les passages de James en direction du puit qu'ils connaissaient si bien. Elle avait apprécié l'aider pour trouver la personne à l'origine des rumeurs le concernant. Leur première aventure dans les murs du château après une balade tardive suivi d'un affrontement qui lui avait permis d'entrapercevoir ses traumatismes puis de les soigner. Elle avait accepté de rejoindre son projet bancale dans la salle 34 du sixième étage parce qu'il en était à l'origine. À chacune de ses défaites contre James, elle voyait avant tout ses victoires. Il était le grand frère protecteur, celui qui avait remué ciel et terre pour l'extirper des griffes de Shane, rien ne lui faisait plus mal que de revoir son corps inerte au milieu de la forêt, la cape qu'il lui avait offerte encore en main.

Elle avait perdu Alija et aurait du le perdre également lui, mais elle n'avait jamais réussi à le traiter avec la même sévérité. Elle n'avait jamais pu et s'en voulait d'avoir été incapable de faire preuve de la même clémence envers son ami serbe. Livré à lui même, orphelin de sa mère et abandonné malheureusement par son père, James cherchait encore sa place au sein de ce monde, ce qui la rendait plus tendre à son égard. Elle lui avait promis de l'aider mais Abigail savait que l'union avec un autre homme l'empêcherait d'honorer sa promesse. Que l'amour qu'elle donnerait, elle ne pouvait pas le partager à tout le monde.

La jeune femme était restée accrochée aux lèvres de James dans l'attente d'une réaction précise, celle qui l'avait motivé à lui annoncer cette nouvelle. Néanmoins rien de ce qu'elle avait imaginé n'arriva... Abigail était déçue et se sentit abandonnée, forcée d'accepter ce destin qu'elle n'avait pas demandé. Elle le regardait, alors c'était de cette manière qu'il avait décidé de la rassurer ? Abigail inspira profondément après un léger silence pour reprendre consistance.  

- Oui, il l'est. murmura-t-elle, la voix tremblante. Elle baissa les yeux, incapable de soutenir le regard de James. Stewart est une bonne personne.

Il ne lui posait aucune question, il ne voulait pas savoir si sa mère lui offrait le choix, si cette union envisagée lui plaisait ? Elle n'avait aucune certitude concernant James, ce qu'elle savait en revanche c'est que ce n'était ni son rôle, ni sa place de convaincre ou de motiver le Serpentard. Il n'y avait rien à ajouter, les larmes qui coulaient désormais doucement le long de ses joues parlaient pour elle.  Elle s'était certainement faite des idées.

La détresse s'était muée en peine, infligée par le jeune homme et ses bien fades paroles, trahie par les larmes qui dévalaient le long des joues de la demoiselle. Des larmes qu'il ne pouvait sécher, des larmes qui lui empoignaient le cœur comme s'il pleurait lui-même. Il resta immobile et muet un moment, impuissant, victime de sa condition. Poser des questions amenait la peur d'avoir des réponses. Et puis, si ce n'était pas Stewart, ce serait un autre. Dès lors, qu'importait la suite des évènements, James avait là réalisé ce qu'il venait de perdre, il en avait pris conscience. Le maudit sang-mêlé butait sur une impasse. Un mur bâti sur des non-dits, qui, s'il venait à s'effondrer, pouvait emporter avec lui le reste de la bâtisse. Peut-être manquait-il de courage, ou peut-être avait-il la dignité nécessaire pour accepter ce qui semblait être le mieux pour l'Enchanteresse.

James fit deux pas en avant, révélant à la Wright son visage jusqu'alors caché dans les ombres dansantes des torches environnantes, seules gardiennes d'une lumière nocturne présente sur le navire. Elle pouvait discerner une trace humide, fine, et verticale, partant d'un œil jusqu'au bas de sa joue. Lentement, il vint déposer sa sénestre sur son épaule, qui malgré les couches de vêtements qui les séparaient, put en sentir toute la chaleur qui s'en dégageait. Cette chaleur qui était sienne. Il aurait tant aimé faire plus.

Mais au-delà de ce qu'il aurait souhaité faire, James manquait d'éléments. Pourquoi ces larmes chez la demoiselle ? Pourquoi cette détresse ? Et si son intuition le trompait ? Avait-elle simplement peur de cette épreuve, ou cherchait-elle ici plus qu'une épaule sur laquelle pleurer ? Il nageait en eaux troubles, et seule Abigail pouvait l'aider à éclaircir ce tableau. Il fallait qu'il sache.

« - Est-ce que... »

Il souffla, expiant une partie de sa peur qui s'envola dans le Mistral. Son regard n'avait quitté celui de la bleue qu'un instant.

« - Est-ce acté ? »

L'appréhension de la réponse venait d'envahir ses tripes, mais il se devait de savoir. Pour lui, pour elle, pour le futur qu'il envisageait.

Abigail demeura silencieuse un instant, ses précédentes larmes continuant de couler sans qu'elle ne cherche à les essuyer. La question de James résonnait en elle, éveillant un tourbillon d'émotions qu'elle tentait de contenir. Pourquoi se montrait-t-elle si fragile ? James et Alija avaient toujours fait en sorte d'en faire une femme forte, elle se devait d'agir comme telle. Elle n'avait pas le droit d'afficher ses faiblesses de la sorte car elle savait depuis son plus jeune âge que ce moment pouvait arriver. C'était la tradition sorcière et cela ne touchait pas seulement les plus grandes familles de sang pur. L'Inquisition l'avait privé d'un père mais pas de ses devoirs familiales, elle avait un rôle à accomplir.

Elle leva les yeux vers lui, essayant de dissimuler la profondeur de ses sentiments derrière une expression mesurée. La chaleur de sa main sur son épaule lui apportait un réconfort qu'elle chérissait mais qu'elle savait temporaire. Ses pensées se bousculaient, cherchant à trouver un équilibre entre son cœur et la raison. Stewart représentait une stabilité que sa famille attendait d'elle, un futur clair et sans surprise. James, en revanche, était ce feu imprévisible, intense et brûlant, qui pourrait tout consumer. Mais pourquoi même comparait elle ces deux hommes ? Le choix on lui laissait mais du choix elle n'avait pas. La jeune fille reprit une bouffé d'oxygène et leva finalement son visage pour retrouver celui de son camarade. Lui aussi semblait attristée par cette nouvelle, ce qui la peinait encore plus.

- Non, rien n'est encore écrit dans la pierre. murmura-t-elle finalement, sa voix à peine audible.  J'ai le choix. Ajouta-t-elle de la même manière.

Mais combien de temps allait elle pouvoir jouer la montre ?  

-  Après le voyage en Egypte... Je... Je devrai donner une réponse définitive.

La jeune femme se leva finalement, rompant ce léger contact avec James qui lui faisait finalement plus de mal que de bien. Celui permettait de se détacher de lui physiquement mais aussi émotionnellement. Dos à lui, le visage tourné vers l'horizon, Abigail profitait de cette brise nocturne qui contrastait avec ce contact chaleureux qu'elle venait de quitter. De dos, il était plus facile pour elle de trouver le courage, de trouver ses mots.  

- Je t'ai mis au courant par ce que je pensais que...

Elle secoua finalement la tête et était sur le point d'ajouter quelque chose.

"Non". Ce simple mot soulagea ses épaules, le libérant d'un poids qu'il expia d'un profond soupir. Mais cet espoir qu'il nourrissait semblait vain. Alors pourquoi ? Pourquoi ne pouvait-il pas s'en détacher ? Pourquoi ne réussissait-il pas à faire le deuil de cette relation qu'il s'interdisait jusque-là ? Puis la demoiselle fuyait déjà, s'extirpant de sa main pour gagner la rambarde du bateau. Interpréter les signes était son quotidien, et pourtant, il baignait là dans le doute.

Mais soudain, la voix d'Abigail s'éleva à nouveau, bercée par la brise qui soufflait contre elle et qui menait ses paroles jusqu'au jeune homme. Là, il comprit. Un frisson traversa son corps entier, réveillant ses sens, embrasant l'étincelle. Il aurait sûrement été plus simple qu'elle le repousse. Pas pour lui, pas pour eux, mais bien pour elle. Le choix, James lui aurait offert ici-même s'il avait pu. Ses pas l'auraient mené jusque dans son dos, ses bras l'auraient couverte tandis que ses mots l'auraient rassurée. Voilà ce qu'il aurait fait. Voilà ce qui aurait scellé le départ d'une merveilleuse histoire. Mais nous n'étions pas dans un conte, et ce maudit Belem n'avait rien d'aussi beau à offrir. Du moins, pas cette fois.

Son timbre profita de l'hésitation d'Abigail pour la couper, rompant sa prochaine initiative avant qu'elle n'ait lieu.

« - Je ne peux pas. »

Ainsi, James lui signalait donc qu'il avait compris, deviné, et de ce fait, que l'idée siégeait peut-être déjà au fond de son esprit. C'était encore plus compliqué de s'exprimer après cela. L'émotion était vive, franche, et peut-être - certainement - que la demoiselle ne comprendrait pas. Tiraillé entre ce qu'il ressentait pour elle et les dangers caché par les secrets qu'il gardait, il reprit.

« - Je suis désolé. J'aurais aimé... Que les choses soient différentes. »

Il laissait là une brèche, une faille, dans laquelle Abigail avait le choix de s'engouffrer ou non. James avait au moins eu le courage d'être honnête.

La jeune femme n'avait jamais connu de position plus inconfortable que celle qu'elle était en train de vivre. Elle le remerciait de l'avoir coupé, de lui montrer qu'il avait compris, l'empêchant ainsi de poursuivre cette épreuve dans laquelle elle n'obtiendrait jamais un Optimal, celle de dévoiler ses sentiments. En revanche, elle ne pouvait pas lui témoigner de la même reconnaissance suite à ses paroles. La jeune femme venait de prendre en pleine face les paroles qu'elle avait prononcé à Eleanor au sujet de leur amitié naissante il y a de cela plusieurs années. La situation n'était pour autant pas comparable. Ses mots la déchiraient car ils ne reflétaient pas la réalité. Pour des raisons qu'elle ignorait et qu'elle tentait déjà de deviner, James ne voulait pas occuper cette place qui dans l'esprit d'Abigail ne pouvait pas appartenir à un autre homme.

Ses mains tremblaient, elles ne savaient pas ou les ranger, elle se sentait honteuse. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, chaque battement résonnant comme un écho sourd dans ses oreilles. La préfète n'osait pas se retourner, les paroles du vert infectaient déjà ses pensées. Son refus laissait sous entendre que ce n'était pas son choix à lui, mais le choix qui lui semblait le plus juste et plus sain, mais pourquoi ? Il était difficile de faire bonne figure.

- Alors... Ses yeux se fermèrent, laissant échapper de nouvelles larmes avant de les rouvrir. Sa respiration était lourde. Après quelques secondes, elle se retourna finalement vers James. Alors c'est comme ça ?

Le Serpentard pouvait sentir une colère grandissante.

- On a construit des choses ensembles, nous nous sommes partagés nos rêves, nos espoirs... James ! En sanglot, la jeune femme voulait le faire réagir, il ne pouvait pas l'écarter de ce chemin qu'ils avaient tracé ensemble aussi facilement. Tu le sais n'est ce pas ? Tu sais que je ne pourrai pas continuer de te suivre si tu ne fais rien !

S'il l'a voulait encore proche de lui, il se devait de réagir. Elle ne pouvait pas prendre le risque de l'attendre, ce n'était pas comme cela que leur société fonctionnait.

Elle décidait alors de lui faire face. Leurs regards se croisèrent à nouveau, et au-delà des paroles, les deux pouvaient lire l’un dans l’autre. Mais si d’un côté la peine se transformait en rage, une colère grandissante qui poussait la jeune femme à extérioriser, de l’autre, James semblait s’être renfermé sur lui-même. Il paraissait étrangement calme, morne, éteint, subissant les assauts sans riposter.

C’était peut-être là ce qui énervait le plus la demoiselle ? Lui qui avait été capable de plonger dans la Forêt Interdite pour elle, ne semblait pas capable d’assumer une vie à ses côtés. La bulle continuait de gonfler, amplifiant les dégâts qu’elle pouvait causer en éclatant, forçant l’écossais à réagir.

Alors il réagit.

« - Je suis sang-mêlé. Je suis sang-mêlé, Abi. »

Le visage défait, vaincu, James avait prononcé ces quelques mots froidement. Il s’était imaginé cette scène des centaines de fois, et jamais, jamais, elle ne s’était correctement conclue. Ses flammes ne l’avaient jamais guidé non plus.

C’était là son secret le mieux gardé, son talon d’Achille, et son monde semblait dès lors s’effondrer sous ses pieds.

Mais au moins, maintenant, c’était fait.

Sa colère avait pour but de le faire réagir. James avait réagi, hélas ce n'était pas la réaction qu'elle avait espéré. La jeune femme se tût laissant aux vagues seules, le monopole du bruit. Comme ce fut le cas pour James quelques minutes plus tôt, c'était à son tour d'espérer une mauvaise blague de la part du Serpentard. Il disait cela pour rendre les choses plus faciles, pour qu'elle se détache plus aisément de lui. Elle attendait alors un autre signe, un autre mot mais rien ne vint...

Il lui fallut quelques secondes pour encaisser la nouvelle. Abigail souhaitait lui dire que ce n'était pas grave, qu'elle était capable de faire abstraction mais... Elle n'avait pas cette force et même si elle l'avait, il y avait des années de tradition qui la dépassaient.

- Tu es... sang-mêlé...

Répéta-t-elle pour elle, d'une voix peu audible qui lui permettait d'assimiler doucement ce nouveau rebondissement. Elle comprenait alors mieux pourquoi James ne "pouvait" pas. Plus que leur relation, cela remettait en cause tout ce en quoi James croyait. Son plus précieux ami, la personne à qui elle venait de déclarer sa flamme n'avait jamais été la personne qu'elle pensait être. Abigail tombait des nues.

- Mais... Comment c'est possible ?

Son comportement, ses opinions, ses ambitions, son ouverture d'esprit. James n'avait jamais raisonné comme cette race de sorciers inférieurs dont le sang pur avait été mélangé à celui des barbares. Elle continuait de vivre des émotions intenses, ceci cumulé à un niveau de fatigue élevé, elle était incapable de raisonner correctement.

Son regard se détourna de celui de la Wright. Si ses traits exprimaient toute la honte liée à sa condition, une espèce d'immense soulagement venait de le parcourir en parallèle. Il s'était enfin délesté de ce poids qui le rongeait de l'intérieur. Alors qu'il réfléchissait à sa prochaine réponse, James soupira, fermant les yeux un instant, avant que ses pas ne le mènent rapidement jusqu'à la rambarde. Il était dorénavant de profil par rapport à la demoiselle. Ses yeux, fixés sur la mer, ne décelaient toujours pas les côtes égyptiennes. Mais était-ce l'important.

"Comment c'est possible ?"

Il était rare qu'Abigail pose une question aussi peu précise, presque idiote. Elle trahissait là son incompréhension. Les paumes gantées s'agrippèrent à l'ossature du navire tandis que sa tête se baissa. La Bête, blessée, n'était pas vaincue. Il se devait de reprendre, d'être fort, d'assumer la discussion qu'il venait d'amorcer. Ce n'était plus l'heure de se défiler. James devait se montrer digne de la Belle qu'il convoitait depuis toujours.

« - Mon père... était un bourbe. » Un nouveau soupir, bref, qui lui permit d'enchaîner. « - De ce que j'en sais. »

Une précision évidente lorsque l'on connaissait l'histoire compliquée de l'orphelin. Une chance pour lui, son interlocutrice du soir était sûrement la mieux informée pour le comprendre.

« - Je ne peux pas t'infliger ça. Cette vie. »

Le chagrin était montée jusque dans sa gorge. Il ne pouvait dissocier cet amour de celui qui avait lié ses deux parents, cet amour qui avait mené sa mère à la tombe. Une drôle de coïncidence, un comble. Le Destin, moqueur et taquin, lui avait offert les capacités pour tenter de le comprendre, mais se jouait une nouvelle fois de lui.

Dans l'incompréhension, Abigail demeurait. Elle regarda son ami se dirigeait en direction de la rambarde, un déplacement solennel pour entamer le deuil de leur relation. Il s'était bien moqué d'elle... Mais ce "Il" ne correspondait pas à James, plutôt à ce monde qui avait mis sur son chemin le Serpentard. Avec lui elle savait qu'elle aurait pu vivre une vie à la hauteur de ses attentes. Malgré les révélations de James, ce qu'elle ressentait dans le plus profond de son être était plus fort que l'importance qu'elle vouait à ces codes sorciers. Son coeur avait choisi depuis longtemps, restait à convaincre sa raison.

Mais en pleine nuit, influencée par ce chaos émotionnel, il y avait longtemps qu'Abi ne réfléchissait plus. La jeune femme se déplaça à son tour vers la rambarde et s'arrêta à côté de James.

- Une vie libre et insouciante ou chaque jour serait une nouvelle aventure...

Voilà ce que James lui aurait infligé.

- Tu es un sorcier James ! Je t'ai accepté malgré tout ce que tu as pu commettre, je peux accepter ça aussi ! Même dans les plus grandes lignées de sang pur, il y a des zones d'ombre. Est-ce vraiment un problème ?

S'écoutait elle ? Sa position n'avait jamais été autant à l'opposé de ce qu'elle pensait, il lui fallut quelques secondes seulement pour réaliser l'ampleur de ses paroles.  

- Oublie ce que j'ai dit, la fatigue me fait dire n'importe quoi.

Elle ne pouvait pas fuir ce qu'elle était, la vie qu'elle avait imaginé à ses côtés n'existait plus mais il lui était difficile d'y renoncer. La réalité venait de la rattraper, elle ne pouvait pas se déshonorer davantage.  Elle souhaitait courir, retrouver et s'enfermer dans sa chambre mais elle n'arrivait pas à s'en aller.