Dortoir des filles

Sans se douter des pensées négatives de sa cadette à l'encontre du monde l'entourant -et sans doute à cet instant surtout et principalement contre elle- María poursuivra tranquillement. Il avait cependant quelque chose qui au moins apaiserait les ténèbres grignotant le cœur de sa cadette, les bals n'étaient pas une excuse utilisées pour se refaire sa garde-robe. Bien piètre compensation.

-"De celles que l'on porte tous les jours ? Et peu importe les saisons, été et hiver, je me suis entrainée à en dessiner cet été pour tenter de mettre mes idées à l'écrit ... mais bien sûr ce n'est pas à moi que reviendra la décision finale."

L'expert artisan évidemment était celui qui connaissait son travail, l'adolescente n'irait pas critiquer ce qu'il faisait loin de là. Elle faisait suffisamment confiance au père de Celonia, sans le connaître, pour qu'il lui fasse des robes de sa taille maintenant et de qualité.

La jeune Harpis avait déjà pris quelques commandes et savait donc ce qu'elle avait à faire. Ses pensées n'étaient pas apaisés pour autant, mais le ton plus "professionnel" et, surtout, moins centré sur ses échecs que venait de prendre la conversation lui avait permis de passer outre celles-ci. Il y avait peut être une consolation à tirer de tout ça... Faut d'avoir la possibilité de se faire belle, elle pouvait peut être aider les autres à le faire... Non, une telle perspective manqua de la faire déglutir, ça n'était pas une consolation du tout.

- D'accord... Souffla-t-elle d'une voix tristoune avant de se diriger vers sa table de chevet pour en tirer un parchemin, une plume et un encrier puis prit appui sur celle-ci. Il nous faudra tes mesures... Elle griffonna le mot "mesures" avant de poursuivre. Si tu ne peux pas le faire je peux... M'en charger. Une telle perspective ne semblait pas vraiment l'enchanter. Pense à noter les caractéristiques que tu souhaiterais retrouver dans tes robes... Certains matériaux privilégiés ou à éviter, une couleur appréciée ou honnie, une thématique ou emblème à mettre en valeur, le style de coupe qui te ferait plaisir... Tout ce que tu désires et on fera au mieux.

Elle tendit le parchemin à Maria.

- N'hésite pas à joindre tes propres croquis, évidemment. Quand tu as fini, passe moi le tout et je te transfèrerai les croquis de mon père ainsi qu'un devis.

Heureusement, il n'y aurait nullement d'humiliation pour Celonia, le calice nullement bu jusqu'à la lie, car l'Infante connaissait à peu près ses mensurations et n'avait donc pas besoin d'être mesurée, du moins pas par Celonia. En récupérant le parchemin que lui tendit sa camarade, elle le parcourra rapidement pour comparer ce à quoi elle avait pensé et ce qu'elle devait précisé, jugeant le tout et s'assurant de ne pas l'oublier de le faire plus tard. Avant de reposer

-"Pas besoin des mesures: je les connais !" Il faudra peut-être rajouter quelques pouces mais la taille globale ne changerait guère. "Et merci Celonia, j'en prends note et je te redonnerai cela plus tard !"

La parchemin fut rangé dans sa sacoche, son visage de nouveau pointé vers l'oisillonne. Et maintenant ? Et bien il était temps d'aller se préparer ... et de laisser sa pauvre cadette dans sa situation. Pour ne pas attirer l'attention sur elle, María baissa la timbre de sa voix.

-" ... Qu'est ce que tu vas faire ... pendant le bal ... ?"

C'était entendu alors. Elle allait enfin pouvoir se morfondre toute seule... Elle n'accorda qu'un bref hochement de tête aux remerciements de l'infante puis se mit à ranger le matériel qu'elle avait sorti pour rédiger le parchemin. Malheureusement, Maria n'en avait pas encore fini avec elle. Il faut croire qu'elle aimait jouer avec sa nourriture et Celonia ne comprenait pas les raisons de cette insistance. Est-ce que ce n'était pas assez clair qu'elle ne souhaitait pas en parler ? Ou alors c'est qu'elle tirait un plaisir sadique à l'idée de lui faire cracher le morceau ? Soit, s'il fallait en arriver là pour se débarrasser de Maria, elle allait le faire.

- Je ne sais pas... Je vais peut être aller me morfondre dans le parc pour revenir pleurer dans mon lit! Ou alors l'inverse. En quoi ça t'intéresse ?

Si Maria avait pris la peine de baisser le ton, ça n'avait pas été le cas de Celonia qui, malheureusement pour elle, s'était possiblement faite entendre par d'éventuelles oreilles discrètes. La fatigue et les irritations causées par les "punaises magiques" mettaient déjà ses nerfs à rude épreuve, en plus il fallait que Jude lui fasse la tête sans qu'elle ne sache pourquoi et maintenant voilà que tout le monde voulait se moquer d'elle parce qu'elle n'avait pas de cavalier au bal. C'était un cumul de trop de choses et la jeune Harpis ne parvenait plus à maintenir la prestance qui était pourtant restée infaillible jusqu'alors. Elle prit une longue inspiration au cours de laquelle elle sentit sa tension redescendre puis adressa à Maria un bref : "Excuse moi."

Avant de se diriger vers la sortie.

Elle aurait bien copieusement insulté cet idiot d'Otto en arrivant dans sa salle commune, mais elle avait autrement plus urgent à gérer que ses affaires avec les rats. Continuant de courir, elle ne réfléchit pas vraiment à où aller. Il lui fallait de l'aide, au plus vite, n'importe qui. Peut être qu'aller voir les garçons pour prévenir Connor aurait pu être plus malin, mais rien n'était plus vraiment rationnel dans son esprit, à cette heure.

- "À l'aide ! On l'a enlevée ! Shane ! Shane ! Il a enlevé Abigail !"

Cria-t-elle espérant cette fois que quelqu'un daigne bien se réveiller.

Les réveils étaient difficiles, la plupart de ces filles ne connaissaient probablement pas vraiment Abigaïl et encore moins Shane... Quelques unes se relèvent tout de même, inconnues de Celonia :

- Qu'est-ce que ?... Shane ? Abigaïl ?

Celle la se frotte les yeux.

- Attends tout va bien, calme toi...

Essaye-t-elle de dire si Celonia ne l'en empêche pas, en sortant ses jambes du lit. Une autre en fond, d'une chambre adjacente crie "mais fermez là, on dort ici !"

Evidemment, les élèves étaient tous tellement asociaux qu'ils ne se connaissaient même pas entre membre d'une même maison. Elle n'en pouvait plus. Elle était fatiguée, éprouvée physiquement et, surtout, psychologiquement et chaque seconde perdue était une chance en moins de sauver Abigail. Une élève qu'elle ne connaissait pas était en train de penser qu'elle sortait d'un cauchemar ou quelque chose comme ça et, devant l'urgence de la situation, elle ne savait juste pas comment réagir à de telles réactions. Elle la laissa parler jusqu'au bout avant de pâlir tant de colère que de consternation.

- FERME LA TOI MÊME ! ABIGAIL WRIGHT N'EST PLUS DANS SON LIT ! ELLE A ETE ENLEVEE ! PUTAIN !

C'était la première fois qu'elle jurait de la sorte, mais elle n'en pouvait plus. Poussée à bout tant par la situation que par cette maison qu'elle détestait chaque jour un peu plus. Elle sentait les larmes lui montaient aux yeux, elle n'avait aucune solution et personne ne voulait l'écouter, c'était un vrai cauchemar.