La maison de Clay Smallflower

James dévala les escaliers qui séparait sa chambre de l’entrée. Après un rapide coup d’œil à travers la fenêtre de la cuisine, histoire de s’assurer que ce n’était pas un mendiant du quartier sous potion qui venait le déranger, l’adolescent ouvrit à l’étranger dans la plus grande des curiosités. En effet, la silhouette du Zverotić dénotait des lieux. Le père d’Alija découvrit alors l’Ashworth qui finissait tout juste d’enfiler un gant à la main gauche, l’autre étant déjà couverte.

« - Euh.. oui, bonjour ? Clay est absent si vous venez acheter des fleurs. »

C’était bien la seule raison pour laquelle un homme aussi distingué - pour ne pas dire intimidant - pouvait venir jusqu’ici, au fin fond du quartier des réfugiés.

L’homme à le tenue exotique se contenta de hocher négativement de la tête. Ses pieds passèrent ensuite le seuil de la porte tandis qu’il « demandait » :

- Puis-je ?

Mais il s’était déjà permis…C’était typiquement le genre de manières d’Alija...

- Tu es James Ashworth ?

Et en parlant d’Alija…Les deux oreilles de James ne pouvaient s’y tromper, le père avait exactement le même accent à tirer au couteau que le fils. Et à y regarder de plus près, ses yeux bleus étaient de l’exact même bleu que l’œil bleu d’Alija, et quand à ses cernes…elles étaient visiblement de famille.

« - Euh… Oui… Je, oui, bien sûr. «

Avait-il seulement eu le choix ? Le colosse des balkans venait de l’obliger à reculer dans son antre, lui laissant le loisir de découvrir l’intérieur de la vieille bâtisse croulante - mais bien fleurie - de son tuteur.

« - Vous… Êtes de la famille d’Alija ? »

Les sens de l’Ashworth ne le trompaient pas : son meilleur ami était le portrait craché de son géniteur. Si James avait eu connaissance des retourneurs de temps, il aurait pu s’imaginer un voyage temporel de son meilleur ami du futur.

Le sang-pur des Balkans balayait du regard la maison, qu’il jugeait dans son fort intérieur…Il ne lui en fallait pas beaucoup pour juger quelqu’un ou quelque chose. In fine, ses yeux s’arrêtèrent quelques instants sur les gants de velours, avant de finir leur course dans ceux du jeune écossais.

- Si tu devais décrire mon fils avec 3 qualificatifs, quels seraient-ils ?

La question ne semblait pas très naturelle, comme s’il l’avait apprise par cœur. Mais au moins, James avait sa réponse, il faisait bien face au père d’Alija.

- Répond librement. Avait-il ajouté d’un ton qui se voulait rassurant à l’origine, mais qui une fois sortie de sa bouche sonnait plus comme un ordre autoritaire.

Librement ? C’était plus facile à dire qu’à faire, tant l’imposante silhouette forçait le respect. Mais James répondit instinctivement, sans prendre de temps pour mener à bien une réflexion inutile.

« - Euh… Alors, je dirais loyal, ambitieux et… »

Brute…? Mais il se ravisa et lissa un peu son propos.

« - Franc. »

Son regard hésitant toisait le colosse, cherchant à savoir pourquoi ce dernier lui posait cette question.

Les yeux du serpentard s’écarquillèrent. Monsieur Zverotić souhaitait les inviter dans son pays ? Un sourire suivit, même s’il n’imaginait pas madame Wright laisser sa fille s’envoler pour les Balkans avec un parfait inconnu. Et qu’en était-il de Clay ? L’Ashworth connaissait les responsabilités qu’avaient son tuteur par rapport à lui.

« - Clay ? Il doit être au puits ou en train de cueillir des champignons quelque part… »

James était vraiment flatté par l’initiative du serbe et son expression faciale le trahissait.

« - Mais… Je ne sais pas s’il me laissera venir avec vous monsieur… » fit-il avant de grimacer, déçu.

« - Même si j’en ai très envie. Vous allez devoir faire fort pour le convaincre. »

Le regard de l’Ashworth appuya ses paroles, comme s’il quémandait au patriarche Zverotić de faire tout son possible pour l’emmener avec lui loin d’ici.

Les yeux de jais lorgnèrent l’artefact du Zverotić. Cela prouvait la richesse de la famille de son ami, qui devait malheureusement se contenter d’une baguette de pacotille pendant que son père - sûrement aussi avare que puissant - se pavanait avec un véritable bijou.

« - Hm, oui, je pense qu’il ne va pas tarder ! Mais si vous parlez d’Abigail, elle habite juste à côté monsieur, à deux minutes. »

Ainsi, James suivit le serbe sans attendre puis l’emmena jusqu’à la maison de sa voisine.

Quelques jours plus tôt...

A l'étage, l'enfant des Highlands s'était installé face à la planche de bois qui lui servait de bureau. Assis sur un tabouret, ses deux bras - nus cette fois-ci -  s'étaient accoudés à la table tandis que ses prunelles de jais fixaient une mèche minuscule qui dépassaient d'un amas de cire. Si l'année écoulée fit éreintante pour chaque élève de Poudlard, tant l'académie enivrait ses occupants d'une alimentation constante d'informations pour les modeler en de prestigieux sorciers, celle de James eut le mérite de lui offrir tout ce qu'il attendait d'elle, du moins, à quelques points près.

Deux choses faisaient cogiter le serpentard depuis des semaines, deux épines qui ne voulaient s'extraire malgré ses différents succès. La première était l'agression d'Eleanor. En effet, son acte lâche mais surtout dicté par quelqu'un d'autre lui laissait un arrière goût dégueulasse en bouche. L'Ashworth regrettait d'avoir accepté si facilement d'agir ainsi, et savait intérieurement que le futur serait bien différent. Cette faute lui servirait de leçon, comme les autres qu'il avait pu faire depuis son entrée au château. James grandissait, apprenait et se développait grâce à ces dernières. S'il ne souhaitait pas que son ambition démesurée le mène droit dans un mur, il valait mieux que ses bêtises soient faites aujourd'hui plutôt que demain.

Il soupira.

La deuxième aiguille, ou plutôt coutelas tant l'ampleur de sa douleur était immense à côté de son méfait, s'était formée suite au fameux cours sur l'épouvantard. Depuis lors, une tonne de cauchemars et d'autres réflexions hantaient l'adolescent. Du doute, de faux souvenirs, des questions auxquelles il ne pouvait répondre... Pas une journée ne défilait sans que sa brèche ne s'ouvre.

Ses mains, fragiles à la chair vive, passèrent sur son visage puis glissèrent dans ses cheveux, laissant sa tête tomber entre ses bras. Même s'il était effrayé, James se devait d'avancer et d'essayer de répondre à certaines interrogations soulevées par l'illusion créée par la créature. Alors, sa dextre récupéra sa baguette posée à sa droite, puis pointa le bout de la bougie qu'il fixait jusqu'alors.

« - Lacarnum Inflamare . »

L'Ashworth, en créateur, fit naître le plus puissant de ses ennemis. Un élément indomptable qui s'amusait à sa consumée à la vie. La flamme s'attaquait déjà à la cire et survivait dans une danse aliénée. La moue de son géniteur se déforma tandis que ses mains tremblotantes se rassemblèrent devant lui. Si la gestion de ses maux s'était en réalité bien améliorée depuis sa première année au château, ce qu'il s'apprêtait à faire le rongeait de nervosité.

Mais le garçon ne pouvait plus faire machine arrière. Il souffla un bon coup, tendit les mains autour du foyer infernal, puis se concentra. James chercha à retrouver les sensations qu'il avait pu ressentir dans le bureau de monsieur Lionheart, puis tenta de supprimer l'existence de la flamme en souhaitant son extinction, comme il avait su le faire dans la vision que lui avait offert l'épouvantard. Souvenirs ou cauchemar... Seule cette expérience pouvait enfin le libérer de ses doutes.

Le poing droit de l'adolescent se ferma sur lui-même et frappa le bureau, provoquant une nouvelle douleur qui vint s'ajouter à celle qui l'assaillait au front. Ses yeux s'étaient fermés instinctivement, et alors qu'il cherchait d'abord à se calmer, ses sens s'excitèrent et son cœur s'emballa. Quand allait-il enfin pouvoir dominer cette peur ? Outrepasser cette barrière mentale qui l'handicapait au quotidien, accompagnant un traumatisme qu'il essayait de combattre. Sa perception avait évolué avec l'âge, et si le déni l'avait bercé pendant des années, la crise de l'adolescence faisait ressurgir toute l'injustice qui lui avait volé ses parents. L'Ashworth grandissait avec une haine en son sein qui le bousillait de l'intérieur, même s'il avait su trouver une famille au château qui l'apaisait au quotidien.

Ses paupières se rabattirent et laissèrent les billes charbonneuses du garçon regagner la flamme. Ses mains s'en approchèrent de nouveau, et dans une ultime tentative, l'écossais tenta d'agir sur la satané bougie qui lui faisait face. Manipuler cette flamme comme s'il en était le maître, la faire vaciller ou bien l'intensifier, le moindre signe - même infime - lui permettrait d'affirmer ses hypothèses nées contre l'épouvantard. Il ne savait pas vraiment s'il préférait échouer ou réussir, puisque dans les deux cas, cela ne lui rendrait malheureusement jamais ce qu'il avait perdu ce soir-là.

Les vacances de sa quatrième année n’étaient pas bien différentes des précédentes. L’adolescence apportait forcément son lot de changements chez l’écossais, qui était devenu plus distant et froid envers Clay au fil du temps. Leur relation ne reposait plus que sur les services que James lui rendait à la maison ou dans son travail, afin de ne pas se sentir comme un imposteur à loger chez lui. Mais en cette soirée des plus calmes, l’Ashworth descendit l’escalier pour rejoindre le rez-de-chaussée à la recherche du roux.

« - Tu ne t'arrêtes jamais, hein. »

Si l'adolescent se faisait plus froid et distant que lorsqu'il était petit, chose que Clay comprenait peut-être, James admirait tout de même la rigueur de son tuteur. Il se démenait pour s'offrir de quoi vivre sans jamais manquer, tout en logeant, nourrissant et éduquant l'enfant des Highlands qui ne partageait pas une goutte de son sang.

« - Tu travailles sur quoi ? »

Curieux malgré sa faible expertise en botanique, au grand damne de son garant, l'écossais vint s'installer pour de lui pour l'observer dans son travail nocturne.

- Ah, salut James.

Fit-il, visiblement surpris.

- Je prépare un petit cocktail maison pour réchauffer nos nuits, j'sais pas toi mais j'arrive pas à dormir sous ce froid.

Il fallait dire qu'il faisait bien plus froid que d'usage, bien que James n'en souffrait étrangement pas.

« - Ah, tu trouves ? La vieillesse qui t'attaque, peut-être, ou alors je me suis trop habitué aux cachots. »

La vérité se cachait sûrement loin de ces deux raisons, mais James ne s'en doutait pas encore. Il se racla la gorge, hésita un instant, puis reprit avec une phrase bancale qui ne lui ressemblait pas vraiment.

« - Quel idiot je suis de ne pas m'intéresser à l'alchimie ou la botanique, hein... » fit-il en observant les gestes de son tuteur, duquel il aurait tant à apprendre s'il en faisait l'effort.

Clay pouvait sentir quelque chose de bizarre, malgré la sympathie sincère du garçon à son égard.

Il avait simplement soufflé du nez à sa première remarque et s'était remis à son entreprise, mais lorsque James parla de nouveau, il se retourna, d'abord juste sa tête, puis il agita ses mains et se retourna entièrement.

- Tu comptes pas me demander de t'aider dans...

Il émit un petit rire, puis s'appuya sur la table derrière lui.

- Qu'est-ce qu'il y a James ?

James, peut-être trop concentré sur ses propres pensées, n'avait pas compris où est-ce que Clay souhaitait initialement en venir avec son "aide". Mais il tira un sourire forcé pour répondre à son rire, puis détourna son regard sur le reste de la pièce. Clay comprit bien vite que la conversation allait peut-être devenir plus sérieuse que prévue.

Son index et son majeur, libérés de tout artifice de cuir, se mirent à tapoter le bois de la table.

« - Tu sais... »

Il soupira, ennuyé à l'idée d'emmener ce sujet.

« - Je sais que tu me considères trop petit pour parler de tout ça... Ou alors peut-être que tu n'en as juste pas envie. »

Son regard était revenu à l'azur de son interlocuteur, pour s'assurer que ce dernier avait bien compris.

« - Mais... Plus je grandis et plus je me pose de questions, en fait. J'aimerais d'abord savoir où est mon père. Savoir pourquoi je n'ai pas de nouvelles... Savoir s'il lui est arrivé quelque chose. Est-ce que toi, tu sais quelque chose ? »

Les yeux de l'adolescent s'étaient froissées, contenant une peine qui menaçait de sortir. Aux côtés du Zverotic, le jeune homme s'était aguerri.

- Ahhh...

Il soupira longuement.

- Ok... Je ne sais pas. Je ne sais pas où est ton père James. Mais... je sais des "choses", oui. Et puisqu'il n'est toujours pas revenu après tout ce temps... il est peut-être l'heure que je te le dise.

Ce n'était pas forcément l'âge de James l'enjeu, mais ça jouait sûrement un peu quand même. Il regarda vers le sol, le visage fermé, hésitant.

Les pupilles embrasées du garçon tressautèrent, ses sourcils se froncèrent et sa paume jusque-là nerveuse se serra doucement d'angoisse. Il avala difficilement sa salive avant de poser sa question plus lourde qu'il ne l'imaginait.

« - Que tu me dises quoi ? »

Lui ne lâchait plus Clay du regard.

- En fait, je ne sais pas moi même ce que cela peut signifier. Et je ne suis pas sûr qu'il aurait voulu que tu le saches mais... Bref. Edward pensait qu'il était pourchassé.

Il regardait désormais James.