Le pont du Pontar

En fine observatrice du monde qui l'entourait, Eleanor ne manqua de remarquer Johannes qui passa à proximité quand elle le vit. C'est d'un pas rapide et enthousiaste qu'elle se mit sur la route de son camarade Poufsouffle avec un large sourire sur son minois qui montrait à quel point la jaune était contente de le retrouver.

- Johannes!

Peut être que sa joie se remarqua un peu trop à la sonorité de sa voix un peu trop haute de quelques décibels.

- Comment tu vas ? Ca faisait bien trop longtemps !

Jo eut au début un petit mouvement de recul ; qui fonçait sur lui ? Les mendiants ne manquaient pas dans le quartier des réfugiés. Puis il reconnut Eleanor.

-Azy touche moi p... Ah ! Ellie !

Ca faisait bizarre de la voir en tenue ordinaire, sans la robe noire de l'uniforme de l'école.

-Faut pas me faire peur comme ça... Je vais bien oui - normal, c'est les vacances !

La pouffy pouffa face à la réaction première de Johannes.

- Désolé...

C'est que la jeune fille pouvait avoir du mal à contenir ses élans de joie parfois. Et puis ça faisait plusieurs jours qu'elle espérait tombait sur son amie, en vain.

- Et tu fais quoi de beau de tes vacances ? J'ai l'impression que ça fait super longtemps qu'on s'est pas vu !

Même lors de la fin d'année à Poudlard ils n'avaient pas eu l'occasion de vraiment se parler avec tous les tournois et autres exercices qu'il y avait eu.

-Bah pour le moment, rien de fou... En fait ça me fait bizarre de rien avoir à faire. Les vacances ça n'existe pas normalement ! Tu t'ennuies pas toi ?

- Je vogue à droite à gauche pour essayer de croiser un peu tout le monde, je révise de temps en temps les cours de l'année dernière aussi.

C'était donc des vacances on ne peut plus classique d'un élève habitant à Pré-Au-Lard. Ce n'était pas désagréable mais évidemment ça ne valait pas la vie au sein du château pour elle.

- Mais je t'avoue que je suis pressée que la rentrée arrive !

Une nouvelle année pleine de découvertes avec également les sélections pour le quidditch.

-Pour tout te dire, moi je voulais plutôt profiter de l'été pour couper un peu avec les gens de Poudlard. Pas toi hein, je te compte pas dedans ! Mais en général, jveux dire.

Il déposa son sac par terre, manifestant son intention de rester pour parler un peu.

-Y a tant de monde que ça qu'on connait dans le village ?

D'un sourire et d'un geste de la main Eleanor lui fit comprendre que ce n'était pas grave, après tout ça pouvait largement se comprendre qu'on puisse vouloir se couper de tout, même de ce qu'on appréciait.

- Je crois qu'une bonne partie des élèves sont des réfugiés maintenant donc oui quand même ! De notre classe il y a beaucoup de monde. Ana, James, Abigail ou Navis par exemple ! Pareil dans les autres promos d'ailleurs.

C'était pas rare de croiser une tête connue en se promenant dans les rues principales du village ou même parmi les nombreux quartiers qu'il y avait dans la zone grandissante des réfugiés.

-Oh, quand même ! C'est Poudlard, mais en dehors de Poudlard en fait. Je me suis pas trop baladé encore dans la rue, j'étais occupé ailleurs.

Il logeait chez des réfugiés hollandais qui avaient accepté de le prendre par solidarité. En échange il faisait des petits travaux, et organisait des colis et du petit commerce avec le pays.

-Je sais pas si j'aurais envie de croiser tout le monde moi...

Un fond d'amertume perçait dans sa voix.

Un hochement de tête et un sourire vint accueillir la réflexion de son camarade. La jaune se demandait bien à quoi avait pu être occupé le zélandais mais la suite de sa réponse la poussa à mettre ça de côté pour se concentrer sur ce qui lui semblait plus important à cet instant.

- Pourquoi donc ? Il y a qui que t'aimerais pas voir ?

Eleanor savait déjà que Johannes n'était pas un grand fan de James mais elle se demandait si il y avait d'autres personnes avec qui le blondinet avait du mal à Poudlard.

-Personne en particulier... Même James, ça me serait égal, je fais pas non plus une fixette dessus. C'est juste que, je sais pas... L'ambiance à Poudlard, c'est pas très... sain ? Agréable ? Je sais pas comment dire. Mais je suis content de pouvoir sortir un peu de ça. Et encore, là c'est moins pire que avant, on peut camoufler un peu le côté moldu.

- Malheureusement on s'y habitue, les Poufsouffles seront toujours mal vus parce qu'on est à la maison des sorciers qui ont des liens avec les moldus.

Dur de nier ce cliché dans leur cas. Ca pouvait être frustrant de temps à autres de les voir être moqué, surtout quand ça pouvait venir des professeurs eux-mêmes.

- Heureusement ce ne sont pas tous des idiots, même à Serpentard il y a des bonnes personnes. Je préfère me concentrer sur ceux là plutôt que les autres qui n'en valent pas la peine.

Ana et James étaient la preuve que tout n'était pas à jeter chez les verts.

-Super... Une réputation qu'on peut pas changer, où y a rien à faire... Ca me... ça m'énerve, voilà. C'est des traditions débiles, ça sert à rien, juste à embêter les gens. Normalement y a toujours moyen de... Enfin. Vivement que ce soit fini, qu'on puisse faire ce qu'on veut et plus avoir à subir ça.

Il avait fouillé dans son sac pour en sortir un sachet qu'il manipulait avec délicatesse. Il y piochait des framboises d'une couleur vive qu'il engloutissait. Le tendant à Ellie :

-T'en veux ?

- Oh oui merci !

Eleanor ne se fit pas prier pour piocher deux trois framboises qu'elle garda dans la main avant d'en prendre une et de la manger. Ce bref plaisir passé, elle revint sur le sujet d'avant qui semblait travailler Johannes.

- Tu sais je compte bien qu'un jour proche je puisse assumer qui je suis sans avoir à craindre quoi que ce soit. Ils finiront bien par comprendre à quel point c'est stupide, on leur fera comprendre. Mais tu voulais dire quoi après "il y a toujours moyen de" ?

Même si pour le moment elle se résignait à une tradition sur laquelle elle n'avait aucun pouvoir, la jaune voulait un jour prouvait sa valeur au monde sorcier et ainsi montrer qu'eux aussi étaient des sorciers comme les autres.

-Ce sera déjà plus simple à assumer quand on sera sortis de Poudlard. Des fois je me demande si c'est une forteresse ou une prison.

Il se lécha les doigts, il avait un peu de rose autour des lèvres.

-Ce que je voulais dire, euh, je vais essayer d'expliquer... C'est comme... tu vois les juifs, tout le monde les déteste, pas vrai ?

Eleanor ne comprenait pas vraiment où voulait en venir Johannes avec cette histoire de juif. Son père n'avait pas l'air de les aimer de souvenirs, il disait qu'il possédait un appareil nasale aussi long que leurs doigts crochus et qu'il étaient avides de pièces.

- Ah euh peut être oui... Pourquoi ?

-Eh ben pourtant, dès qu'on a besoin d'argent, qu'on veut en emprunter, mettre un bijou en gage ou financer une affaire, on est bien content de les trouver... L'argent ne sent pas, c'est comme ça qu'on dit ? Alors tu vois, les gens aiment bien se sentir supérieurs, mais quand ils ont besoin de toi, là c'est magique - enfin pas vraiment magique, tu as compris.

Il ricana et plongea son regard dans les eaux du ruisseau en contrebas.

-Les grandes familles avec le sang pur, si c'est comme les nobles des moldus, et ben la moitié est ruinée... ils sont trop fiers pour travailler, ou alors ils savent qu'ils sont trop bêtes, ils font pas le poids à la régulière. Alors ils disent que leur sang leur donne le droit de profiter de ceux qui sont plus riches, ou plus malins.

Il releva les yeux vers Ellie.

-Fais attention donc... Les juifs, même tout leur argent ça empêche pas qu'on profite d'eux, on les tue, on les expulse. On peut être riches, ou intelligents, plus qu'eux, mais les autres si ils ont besoin de toi ils essaieront de t'utiliser. Repenses-y avec eux.

C'est avec pas mal de confusion que la jeune fille écouta son camarade déblatérer, essayant de comprendre où Johannes voulaient en venir. Selon ses dires il serait donc comme les juifs ?

- Je... Je retiendrai la leçon.

C'était en tout cas évident que quelque lui était arrivé et qu'il avait l'air d'avoir du mal à l'exprimer en utilisant des moyens détournés de le faire. Il fallait creuser encore un peu plus.

- Il t'est arrivé quelque chose Jo' ? Il y en a qui t'ont utilisé ou fait un sale coup ?

Et si encore une fois la jaune avait bien compris, ce serait des sangs purs qui en seraient la cause.

-Ils attendent que ça, tu sais.

Il avait l'air presque en colère maintenant, ses mains s'agrippaient au parapet et son regard était retourné vers les algues qui ondulaient mollement au fond de l'eau.

-T'es plus intelligente que moi, peut être que tu verras le coup venir... ce sera plus difficile de profiter de toi, de profiter de ça. Moi y a pas besoin d'y aller par beaucoup de chemins. On vient, on prend et on jette.

Il n'y avait plus aucun doute quand à ce que ressentait le zélandais, ce qui l'inquiétait beaucoup. Il semblait garder une certaine souffrance pour lui depuis trop longtemps maintenant. La Poufsouffle posa sa main sur le bras de son ami comme pour lui montrer un peu plus son soutien inconditionnel.

- Parle moi Johannes, je suis ton amie. Qu'est-ce qu'ils t'ont fais ?

Elle ne savait pas qui étaient exactement ce "ils" mais la jeune fille n'allait pas abandonner son camarade, si on lui avait fait du mal alors les fautifs allaient devoir payer.

-C'est pas très important... C'est pas grave. Le problème c'est juste savoir que ça peut arriver tout le temps, à tous les moments, et que tu peux rien faire. J'aime pas quand tu peux rien faire.

Il cracha dans le ruisseau par dessus le garde -fou.

-Enfin si, on peut continuer, retourner à l'école, apprendre des trucs utiles... C'est ça ou alors on peut se cacher. Toi tu te caches pas. C'est, heu, courageux ? Hein ?

- Je ne suis pas courageuse, je ne me cache pas parce que je n'ai pas de raison de le faire. Enfin c'est faux d'ailleurs puisque je cache mes origines.

De toute façon ce n'était pas le sujet, le plus important c'est que Johannes n'était pas lui-même et avait l'air d'avoir du mal à s'exprimer là dessus. Eleanor se plaça entre le garde fou et le jaune pour être sûr qu'il ne pourrait pas fuir son regard.

- On peut tout faire Jo' mais si tu ne me dis rien alors on pourra pas empêcher ce qui t'est arrivé de recommencer. Et j'ai pas envie que ça m'arrive non plus alors raconte moi.

A vrai dire elle s'en fichait un peu de ce dernier point mais peut être que se mettre elle-même dans l'équation allait pousser le zélandais à parler.

-Hé ça va hein, jvais pas sauter...

Il aurait eu bien de la peine à se faire mal de toute façon. Au mieux, sa chute aurait produit un "sprotch" dans la vase qui recouvrait le fond du Pontar. Cependant, la remarque d'Ellie le rappela un peu à son bon sens. En effet, ce genre de truc pouvait lui arriver à elle aussi. Il fallait l'éviter.

-Bah disons que... si tu te promènes seule le soir dans les cachots, attention à derrière toi. En tout cas ne transporte rien dans tes poches.