Pont principal

Le gaillard beaucoup trop grand pour son âge asséna un coup de coude à son cousin. Un coup pour l'avertir, pas un coup pour se bagarrer, mais quand même avec assez de puissance pour lui faire mal. Parce qu'il le méritait.

- Pssstt... Pierre feuille papier ciseau celui qui perd monte aux mâts.

Difficile de trouver un moment de répit à bord de ce foutu Belem. Peu importe où vous mettiez les pieds, il y avait toujours quelqu'un pour vous rappeler que vos petits instants solitaires attendaient sûrement l’Égypte pour pointer le bout de leur nez. Alors bêtement, James s'était dit qu'un soir pluvieux pouvait peut-être lui offrir un brin de tranquillité, une espèce de bulle d'air lui permettant de tenir plus longtemps dans ce voyage interminable... Mais non, là aussi, une silhouette trônait à l'exact endroit que l'écossais s'était imaginé désert. Peut-être par égoïsme, il décida alors d'avancer sur le bois humide en direction du monsieur un peu plus grand que lui, dont il ne tarda pas à identifier la silhouette.

Les gouttes ainsi que le vent assaillaient déjà sa chevelure, le forçant à plisser des yeux tandis qu'il rejoignait son percepteur.

« - Professeur. » s'annonça-t-il, conscient qu'il n'était que le bourreau de la paix sûrement souhaitée par son interlocuteur.

« - Si vous comptez sauter, j'espère que vous avez au moins pris la peine de prévenir Abi. »

Un ton amusé, qu'il osait avec un professeur plus jeune et humain que la plupart. En cette ultime année au château, synonyme d'un âge qui approchait de la majorité, les relations évoluaient naturellement vers quelque chose de plus mature. Le contexte rendait aussi le tout plus simple.

Le tambour de la pluie avait dissimulé l'arrivée de James, et sa voix fut accueillie avec un pivot vif de la tête. Le professeur avait les lèvres suspendues et l'air perdu comme si l'on venait de l'arracher d'un rêve. Vain de mentionner qu'Edward Blackwine n'avait jamais paru aussi dépourvu qu'à cet instant.

- James.

Dit-il d'abord en s'essuyant le visage du revers de la manche puis du dos de la main puis avec la main entière avant de l'agiter d'un seul geste pour jeter l'eau récupérée. Puis il eut rire bref, plus un souffle qu'un rire d'ailleurs. Il regarda James un instant supplémentaire pour bien faire état de sa présence puis se tourna de nouveau vers l'horizon.

- Enfin James, je ne suis qu'un professeur d'Histoire mais j'ai tout de même espoir d'une mort plus glorieuse.

Il semblait que son regard était plus intense.

- Sacré temps, ajouta-t-il durant ce moment de flottement. On ne verra bientôt plus rien. Vous êtes-vous déjà intéressés aux noirceurs de la mer à la tombée de la nuit ? C'est terrifiant. Nous sommes peu ou prou livrés à nous même face à la nature... et je ne suis pas sûr que même tout magiciens que nous sommes, nous pourrions survivre à un orage trop grand.

Un rictus était apparu au coin de ses lèvres, trahissant la satisfaction qu'il éprouvait quant à son entrée en scène. Il apprécia le répartie de son professeur qui ne refusait pas la dialogue, l'invitant même - selon son interprétation - à partager un moment à ses côtés.

« - Pour être franc, ce n'est pas le genre de réflexions qui hantent mes pensées. » fit-il dans un sourire.

La météo, loin d'être clémente, n'était toutefois pas des plus dépaysantes pour un enfant des Highlands. Les secousses et différents remous, eux, l'étaient beaucoup plus, et avaient poussé le jeune homme à s'agripper à la rambarde. James n'était pas un peureux de nature, mais il fallait dire que le puissance indomptable de la mer liée aux paroles juste prononcées par son professeur ne le rassuraient pas forcément. Monsieur Blackwine venait peut-être de faire réaliser à l'écossais les dangers d'une telle traversée.

« - Je n'avais même jamais vu la mer avant notre départ. Je n'imaginais pas cela... Si grand ? » avoua-t-il, conscient de sa bêtise mais honnête.

Malgré la puissance d'une telle embarcation, la proue se soulevait légèrement pour attaquer et surmonter les vagues. C'était impressionnant, d'autant plus lorsque l'on se trouvait à l'avant du bateau, et imageait étrangement les dangers que venait d'énoncer le directeur de maison. Les yeux brillants de l'élève voyageaient entre l'horizon et son interlocuteur. Ses paumes de cuir, elles, restaient cramponnées à l'armature du galion.

La pluie n'était rien... un éclair déchira le ciel et le tonnerre l'accompagnant l'instant suivant brisa la symphonie des cordes tombantes. Un vacarme de quoi chambouler le déroulé quasi-paisible des pensées des deux hommes. Tout de même, la pluie n'était rien et la foudre n'était pas bien moins ordinaire. Cependant, le spectacle offert par la lumière électrique embrasant l'horizon avait de quoi ajouter du crédit aux paroles du professeur. En effet, ce n'avait pas été évident parce que le soleil était pratiquement mort derrière les nuages orageux, et la mer en était donc qu'une étendue de ténèbres après quelques pas hors du bois du bateau. Mais pour l'instant d'un clignement des yeux, l'instant d'un éclair, ils avaient pu être témoins des vagues immenses et rugissantes, exprimant la puissance de Mère Nature.

Edward observa les vagues avec fascination, ses lèvres étaient suspendues encore, mais cette fois par la rêverie. Il revint à lui alors que la vision s'estompait et que l'on retournait aux ténèbres.

- Nos pouvoirs nous ont longtemps fait croire à l'invincibilité. Mais même Isidor, que dis-je, même Merlin ne pourrait vaincre ces vagues. Et pourtant nous nous tenons là, sur une merveille de l'ingéniosité humaine, la face impavide défiant les vents et les tempêtes. Vous rendez-vous compte ?

Une passion insoupçonnée brûlait dans la voix du professeur. Elle semblait éteindre, évaporer le bruit de la pluie. Et le soleil gris disparut pour de bon.

- Et la nuit tombe. C'est curieux à dire mais... nous sommes à l'aube d'un crépuscule.

Un discours pour le moins cryptique...

Un frisson parcourut l'échine du jeune homme, loin d'être formé aux dangers que lui présentait la nature. La foudre illumina l'espace, scintilla au plus profond de ses iris, et lui dévoila le tableau fascinant que l'orage s'éperdait à peindre. Pour la mer et son appétit, ils n'étaient qu'une ridicule bouchée, et la fascination mêlée à la passion de son professeur décuplaient ce sentiment. Un autre jour, l'écossais serait peut-être rentré s'abriter sans prendre le temps d'observer, de comprendre, d'apprendre, mais là était la mission que le Destin avait transmis au plus vieux : celle de transmettre, d'éclairer, d'ouvrir les esprits des plus jeunes. Edward Blackwine remplissait ce rôle à merveille. Si l'écossais n'était pas aussi proche de lui qu'il pouvait l'être d'Isidor ou de Néarque, il l'estimait au moins autant qu'eux.

Alors que les derniers reflets de l'astre infernal moururent à l'horizon, James reprit, grimaçant parfois face aux secousses et autres gouttes d'eau qui ne cessaient de l'assaillir. Son ton avait d'ailleurs grimpé de quelques octaves, s'accordant avec l'environnement qui devenait de plus en plus sauvage.

« - Que voulez-vous dire, professeur ? »

Faisait-il référence à la guerre qui rongeait leur peuple et leurs terres ? Parfois, il valait mieux se taire et écouter.

- Vous ne le sentez donc pas, l'orage qui arrive ? Non, crie-t-il presque pour se faire entendre à travers les bourrasques. c'est un raz-de-marée.

Il jeta un regard vers James puis de nouveau au loin. On pourrait être tenté de croire qu'il parlait littéralement avec la tempête qui gagnait en puissance...

- Est-ce que le feu artificiel des sorciers pourra y survivre ? James ! Qu'en dites-vous ?!

La symbolique du feu. Un thème parlant pour le jeune homme. Il le regardait de nouveau, le bras levé devant le visage, les yeux plissés sous le vent et la pluie, les cheveux et les habits virevoltants dans tous les sens.

- Si ils gagnent, la nuit moldue sera-t-elle la dernière pour nous ?!

Au gré des vents et des éclairs, les mots de l'érudit sonnaient avec justesse. Ils venaient d'amener la scène à un stade supérieur, tirant James dans une conversation peut-être plus importante que ce qu'il avait pu prévoir, et lui offraient là une sacré métaphore. Comme il s'en était douté, son percepteur venait d'établir un lien avec l'Inquisition. Il y avait ajouté un sentiment d'urgence inédit, mis en scène par le cyclone qu'ils traversaient, et tandis que le bras du jeune homme se levait par mimétisme pour protéger son visage, il ne tarda pas à se rattacher à la rambarde alors qu'une énorme vague se brisait sur la coque. Était-ce le lieu adéquat pour tenir cette conversation ? Mais James ne pouvait plus fuir. Pire, il venait d'être piqué et ressentait une étrange adrénaline monter en lui.

Alors, sans plus de réflexion, il répondit, haussant encore la voix pour vaincre les éléments.

« - Pourquoi s'imaginer leur victoire ?! »

Ses yeux, plissés, réussissaient à peine à discerner le visage du philosophe. Une violente secousse apporta avec elle son lot d'eau, imbibant le visage de l'écossais qui soufflait pour dégager l'eau salée qui s'écoulait jusque dans sa bouche et ses narines.

« - Notre feu n'est pas plus artificiel que le leur professeur, bien au contraire ! »

Et encore moins le sien. Celui qui brûlait du plus profond de ses entrailles. Un don que la nature elle-même lui avait fait, un cadeau qu'il avait d'abord estimé comme un comble, ironique, presque méchant, avant de réaliser qu'il y avait sûrement un sens derrière cet héritage.

« - Le monde nous a choisi ! Nous a offert sa magie ! Il y a une raison ! Pensez-vous... Cette idée arrogante ?! »

Nulle nuit n'empêchait à un sorcier de s'éclairer. Nul raz-de-marée les empêcherait de respirer sous l'eau. Ils étaient ce qu'ils avaient toujours été : des êtres capable de s'adapter, de survivre. Tout ne pouvait avoir été écrit pour conclure sur une extinction totale. Mais James posait en vérité plus de questions qu'il n'affirmait de choses... Parce qu'il était convaincu que le danger que représentait Cromwell allait au-delà d'une inévitable tempête. La réflexion de l'ambitieux était encore loin d'être mûre, ce qui l'aidait peut-être à garder un optimisme et des rêves supérieurs à ceux de ses aînés. Cependant conscient de sa jeunesse, conscient de la sagesse de son ainé, James écoutait, avide.

À la lueur des torches magiques lointaines, James parvenait encore à distinguer un peu les traits du visage du professeur. Il y voyait une sorte de grimace, due à la contrainte du temps et peut-être à une sorte de réflexion aussi. Il agita la tête de gauche à droite puis plongea une nouvelle fois son regard vers la tempête invisible.

- C'est un exercice de pensée Ashworth ! répond-il finalement avec plus de fermeté dans la voix. Les êtres intelligents peuvent et doivent imaginer, prévoir, voir le monde au conditionnel ! Et... et pour ce qui est de la réalité ! Il n'y a rien de plus artificiel que la Magie ! Souvenez-vous en ! Ce que l'on créé un jour par la Magie, s'évapore le lendemain ! Incantez donc de la pluie ! Elle ne laissera même pas de rosée au matin !

Une leçon qu'ils avaient appris très tôt à Poudlard en vérité. La Magie avait ce quelque chose d'inéluctablement éphémère, et même les plus grands sorciers ne pouvaient conjurer de la matière durable. Après ce rappel, le professeur balaya l'air d'un mouvement de main en avant, comme s'il saisissait la conversation et la jetait à la mer.

- Et... arrogante vous demandez !? Oh oui c'est arrogant James ! Vous vous inscrivez sur la même ligne que tous les grands sorciers qui vous ont précédé !

Il lui jeta un regard assez long, avant de resserrer sa prise sur la rambarde et chercher un pied d'appui plus fiable, le bateau semblait fuir sous leurs pieds à chaque secousse.

- Mais comment vous en vouloir ! Il n'est que naturel d'être arrogant avec la force qui est la nôtre ! L'Hubris James, connaissez-vous l'Hubris ? C'est l'essence même du sorcier ! L'Hubris est l'arrogance poussée à son paroxysme !

Il sembla rire, non, il riait, on y entendait des airs d'auto-dérision, comme s'il riait de la situation. Comme si ce sujet d'hubris convenait parfaitement à leur situation immédiate.

- Dans la mythologie Grecque, Hubris est une divinité, née de Nyx la nuit et d'Érèbe le roi des ténèbres. Ils ont pour père le Chaos et pour frère Ether... il y a des connexions à faire pour qui jouit d'intelligence !... mais il ne faut pas divaguer. Les grecs croyaient en une idée du Destin assez étrange. Que chacun avait sa part, mais que chacun pouvait tenter d'en avoir davantage. Cependant, celui qui dépassait les limites recevait une punition céleste ! Argh, venez !

Il se hissa derrière la proue et tendit la main à James pour qu'il l'y rejoigne, ils allaient être plus haut encore mais un peu mieux protégé du vent.

"Regarde les animaux qui sont d'une taille exceptionnelle : le ciel les foudroie et ne les laisse pas jouir de leur supériorité ; mais les petits n'excitent point sa jalousie. Regarde les maisons les plus hautes, et les arbres aussi : sur eux descend la foudre, car le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure"

Il secoua la tête, reprit son souffle.

- D'aucuns pourraient croire qu'Horacio ait subi un jugement de cet acabit en trafiquant la Coupe de Feu ?... rit-il pour dédramatiser un peu avant de reprendre. Alors James, pourquoi le monde nous a-t-il choisi ? Pour dominer ? Les moldus que nous avons considérés comme des fourmis depuis toujours ? Et si l'on s'était trompés, et si ça n'avait jamais été notre destin ? Que nous avions trahis les cieux ?

Il désigna la tempête au loin de l'index sans lâcher James du regard.

- Elle n'est pas notre Némésis elle, ce n'est qu'un orage ordinaire, un événement fortuit James, il y en a tous les jours dans le monde. L'orage moldu en revanche, a été façonné par nos propres mains...

Une forme de tristesse se dégagea de sa voix tandis qu'il ramenait sa main devant lui pour appuyer la métaphore.

- Et je vais vous révéler un secret : la Magie n'a pas toujours existé dans le monde. Elle est apparut un jour presque immémorial aux alentours de l'Egypte... et depuis, les héritiers de cette flamme ont fait la guerre à la réalité. L'Inquisition n'est que le premier acte de la dernière bataille à ce jour. Peut-être la dernière, peut-être pas. Mais nous sommes depuis le début de cette histoire, témoins des remous causés par notre arrogance. La situation actuelle est la preuve de la véracité de mes propos. Et si je dois être honnête... Il me semble à moi qu'il est déjà trop tard, je pense que nous sommes déjà montés à l'empyrée des siècles auparavant, nos ailes ont brûlé et nous connaissons aujourd'hui notre longue chute, notre lente agonie... vers notre fin inexorable.

Il reprit longuement son souffle puis expira un tout aussi long soupir. Il jaugeait désormais James, toujours agrippé à la rambarde.

Lui aussi grimaçait. Cependant, ce n'était pas seulement dû à la réflexion en cours, mais bien à cause des différents affres qui le tourmentaient. Le vent, la pluie, le sel, les secousses, une espèce d'épuisement commençait à tirer les traits de l'écossais, qui victime d'un léger essoufflement, gardait la bouche ouverte et le visage fermé. Il sifflait souvent entre ses lèvres pour expier l'eau qui tentait de s'infiltrer alors qu'il chassait l'air ambiant. Chaque seconde était une nouvelle épreuve. Il décida de suivre son professeur et accepta la main tendue. Les explications et les réponses se succédaient, formant un tout cohérent qu'il était bien difficile de suivre. Le professeur Blackwine venait-il d'ailleurs de le qualifier de grand sorcier ? Ce n'était pas l'important. Ni cela, ni le fait que James n'était pas forcément d'accord avec le point de vue du percepteur. Brûlez une feuille, elle brûlera la forêt. Si l'éther aura bel et bien disparu au petit matin, les conséquences, elles, seraient indélébiles.

Mais James sentait que ce n'était pas l'heure de jouer sur les mots. Il fallait extraire l'essence de cette entrevue, se concentrer sur le point précis pointé du doigt par l'historien qui lui accordait là une faveur, un véritable don d'une partie de lui-même. Alors le jeune homme écouta comme il le put, captant les phrases et leur sens malgré la tempête environnante. Il continuait de suivre ce qui semblait être une interminable métaphore, cherchant à déchiffrer les indices cachés dans un discours plus subtil et philosophique que persuasif. Et alors que l'écossais rejoignait Edward plus haut pour tenter de se mettre à l'abri du vent, glissant presque sur le bois humide, il se demanda un instant s'ils n'imageaient pas justement l'Homme en ce moment précis. Que faisaient-ils ici, exactement ? Seulement protégés par une piètre poupe alors que les éléments se déchainaient tout autour.

La suite ramena rapidement l'enfant des Highlands à la réalité. Horacio... La coupe... James fit rapidement des liens, des conclusions. Le monde n'était-il alors qu'une gigantesque balance punissant ceux qui souhaitaient peser trop lourd ? Mais quel Mal avait semé les sorciers pour récolter aujourd'hui une telle sentence ? Le typhon ne suffisait pas à cacher la peine du professeur : un désarroi fataliste, profond, basé sur des pensées qui semblaient avoir eu le temps de mûrir. C'en était presque choquant, tant il déconstruisait le rêve et l'espoir, tant le pessimisme semblait fondé. L'espace d'un instant, la Flamme se sentit tomber en même temps que son monde, avalée par cet océan qui n’attendait que de les engloutir. Les révélations s'enchaînaient et lui infligeaient des supposées vérités que son cœur ne souhaitait pas croire. Sa raison, pourtant, voulait siéger aux côtés du plus vieux, peut-être à raison ? Il se trouvait là dans un dilemme, comme piégé, et l'incendie qui brûlait jusqu'alors en lui s'amenuisa dangereusement. James doutait. James tremblait.

« - Alors quoi ?!... » hurla-t-il après cet insupportable moment de silence, seulement bafoué par l’incessant fracas des vagues, « - Il ne faudrait même pas se battre ?! »

Peut-être par mimétisme, une certaine tristesse s'était transmise au jeune homme, qui de par sa nature, ne pouvait pourtant pas se contenter d'accepter le sort de sa race tout juste exprimé. Il s'essuya le visage en diagonal, passant sa main sur ses yeux, se débarrassant de la pluie ou peut-être de larmes ?...

« - Et... et que proposez-vous ?! Qu'on se laisse mourir ?! Ha ? » Sa voix se brisa, à son tour, en un rire nerveux. C’était une étincelle, un premier souffle sur ses braises encore chaudes.« - Non, pourquoi ne pas abréger nous-mêmes notre souffrance à ce compte là professeur !!! Allons-y ! Sautons par dessus bord ? Immolons nous ! C'est peut-être elle la mort plus glorieuse que vous évoquiez, celle par le feu ?! Ou peut-être pas… Peut-être que nos flammes artificielles ne sont pas assez nobles pour vous ?! Hein ? Mais croyez-moi professeur, elles laisseront des cendres à défaut de laisser la rosée !! »

James détourna son regard du visage du professeur, enserrant sa prise sur la rambarde comme s'il pouvait la briser sous ses doigts. Son cœur serré lui nouait la gorge, son visage se ferma, constrict par la rage, seuls demeuraient ouverts ses yeux flamboyants et ses lèvres tremblantes. Soudain, la colère grondant en lui s'exprima :

« - FOUTAISES ! JAMAIS JE N'ACCEPTERAI CETTE VISION PITOYABLE ! »

Jamais il ne pourrait se résoudre. Jamais il ne laisserait son Feu s'éteindre. Naturellement, son ton avait gagné en puissance et ses traits jusque-là vaincus devinrent ceux d'un conquérant. Malgré le Chaos, ses yeux s'étaient ouverts en grand, témoins d'une chaleur qu'il imposerait au monde s'il le fallait. Il était cette étincelle prête à embraser la forêt. C'était désormais lui qui jaugeait l'aîné, conscient de son insolence, mais trop en colère et profondément déçu pour exprimer le moindre remords.

L'intensité de ses yeux s'était meurtrie avec la tristesse de son discours mais pendant un instant, ils brillèrent de nouveau, de curiosité peut-être, décelable à la lueur alternée par les danses ombragées des torches mourantes. Il écouta donc patiemment, acceptant les foudres que crachait James sans réagir. Mais à la fin du souffle du dragon, le triste corbeau ne semblait pas plus démuni que face au souffle des cieux. Et comme pour parfaire la poésie de la scène, la tempête s'estompa. S'était-elle pliée à la volonté du garçon au cœur cendré ? Ou n'était-ce encore qu'un hasard fortuit ? Le regard d'Edward s'appauvrit et les torches à bout de force s'éteignirent. Ils furent plongés dans le noir total pour la première fois. Et puis, des rayons orangés filtrèrent à travers les nuages éparses, le torrent les inondant n'était plus qu'un fin crachin. Les traits du professeur étaient de nouveau parfaitement visibles mais même le soleil rougeâtre ne parvint à redonner de la couleur à son visage blême. Il baissa la tête, et ne se redressa que quelques secondes après, retrouvant pleinement pied sur le navire. Il déposa son regard sur James de toute sa hauteur, et il parut à ce dernier, en dépit de tout, apercevoir une subreptice étincelle de crainte dans les yeux du professeur. Comme un serviteur appréhendant le courroux d'un tyran. À moins que l'arrogance de James n'ait fourvoyé sa perception, et que ce fut plutôt le regard d'un maître hésitant à mettre fin à la vie d'un chien enragé ? Les deux idées pouvaient se batailler dans son esprit.

- Je n'ai cherché à imposer aucune vision James, répondit finalement Edward avec une lassitude dans la voix. Je n'ai fait que partager mon malheur. Mais je ne doute pas que comme beaucoup de grands sorciers avant vous, vous cherchiez à imposer la votre. Il est notable par ailleurs que le meilleur exemple que vous ayez trouvé pour me réfuter, soit celui d'un feu destructeur. Même si la métaphore est d'une exquise beauté, je ne suis pas sûr qu'elle me donne tort...

Il soupira.

- Enfin, je ne vous propose rien. Mais je vous laisse une dernière graine, en espérant que vous ne la brûliez pas : il existe bien des moyens de quitter le monde avec dignité.

Énigme sur énigme... Pour comprendre tout cela, il allait falloir se poser les bonnes questions. Le professeur se tourna vers le soleil couchant. Aussi avait-il retrouvé l'ombre dans ses yeux et ce morne ennui.

Comme pour en parfaire la symbolique, la nature avait décidé de rester accordée à la conversation. Un signe évident pour le garçon, qui après avoir expié son mal-être, levait la tête pour observer le ciel et ses failles. Elles laissaient échapper quelques rayons. N'était-ce pas ce que venait de faire son professeur, alors qu'une faible lueur avait illuminé ses yeux l'espace d'un instant ? L'écossais, malgré la situation, ne put s'empêcher d'exprimer un léger rictus, tandis que ses paumes de cuir s'étaient détachées de la rambarde pour venir accueillir les restes de l'averse. Le monde ne pleurait plus.

L'attention du jeune homme revint au plus vieux lorsque ce dernier se mouva. De nouveau, il lut en lui, en son regard trahissant une partie de ses pensées. Elles étaient là plus difficiles à interpréter. Si la situation se prêtait alors aux excuses pour s'être emballé de la sorte, rien ne vint. James serait bien le dernier des imbéciles à reculer maintenant. Alors, il accueillit les paroles du professeur comme s'il en écoutait la dernière leçon. Une longue et triste agonie, semblable à celle d'un malade sur son lit de mort, qui, sentant sa fin arriver, composait son ultime sérénade. Voilà à quoi était réduit l'homme empli de sagesse qui lui faisait face. Un homme aux braises éteintes, que même le plus puissant vent ne saurait rallumer. Ou peut-être que James n'avait pas soufflé assez fort, mais il n'en était pour l'instant pas capable.

"La situation actuelle est la preuve de la véracité de mes propos."

Il était presque amusant d'observer le professeur nier avoir tenté de le convaincre. Peut-être se voilait-il la face ? Ou peut-être que James avait surinterprété ses paroles. Aucun n'avait malheureusement su convaincre l'autre, et le choc des visions semblait résulter sur un statut-quo. Les yeux dans les yeux, sombres de chaque côté, seule l'étincelle présente dans les pupilles marquait les différences. L'ambition ne pouvait être réduite à de l'arrogance. Cela détruisait l'importance des rêves, et par extension, arrachait même à la vie sa saveur. D'ailleurs, la situation actuelle du professeur était la preuve de la véracité de ces propos...

Puis la dernière phrase n'eût, comme le percepteur s'en doutait peut-être, pas d'effet immédiat. Elle fit cependant mouche. Dans le silence, James laissa le corbeau retrouver son nid, tandis que lui l'observait toujours. Un doute l'emprunta. N'avait-il pas saisi toutes les nuances de la discussion ? Ou surestimait-il là son interlocuteur de par son statut, de par la hiérarchie qui les séparait ? L'oiseau, sage et majestueux, semblait avoir accepté sa condition, sa cage. Quelque chose chez lui sonnait faux. Plus il l'écoutait, plus James entendait le discours de quelqu'un qui cherchait à se convaincre lui-même.

Le calme retrouvé, la tension disparue, l'élève reprit.

« - Je tâcherai d'y réfléchir. » avait-il exprimé, sincère.

Cela pouvait peut-être s'interpréter comme de l'ironie, mais il ne s’enquérait pas.

« - Mais accordez-moi une faveur, professeur. »

Il déposa alors un coude sur la rambarde, se décalant légèrement sur la gauche pour tenter de capter un regard, même en biais. Cela l'importait et sonnait sûrement le glas de cette entrevue.

« - Permettez-vous d'espérer.» Il regarda un instant l'eau en contrebas du coin des yeux. « - Le feu détruit par essence... Il consume pour survivre. Mais il en reste notre meilleur allié face aux ténèbres. »

Une dernière image pour celui qui semblait en réalité lutter contre cette lumière. Ce n'était là qu'une supposition, un ressenti, devant une flamme éteinte qui refusait de se rallumer. Il n'avait pas eu l'impolitesse d'en demander la raison. Peut-être un drame, peut-être une lassitude, ou bien cela avait toujours été ainsi et James se trompait lamentablement.

« - Alors si un jour le Destin venait à vous prouver que vous aviez tort... Ne luttez pas pour vous donner raison. »

Ce serait là, une bien ironique arrogance. James se détacha ensuite du rebord, prêt à partir.

Edward posa sa main sur le bois comme pour ancrer le fait que la conversation n'était pas encore entièrement close.

- Pardonnez moi de moi aussi autant rallonger cette métaphore filée sur le feu... c'est d'un mauvais goût de ma part je trouve... rit-il doucement. Mais voilà... j'ai la douloureuse impression que cette discussion a ravivé votre... flamme.

Il fit une longue inspiration et souffla un long soupir. Laissant à James le temps de douter du sens.

- Je le déplore pour le lot de souffrances que la passion risque de vous apporter. J'en sais quelque chose. Enfin... trancha-t-il très vite comme pour chasser le possible air misérable que ses paroles auraient pu lui donner. Le plus terrible de notre entrevue, c'est que vous n'ayez toujours pas réalisé que... nous sommes les ténèbres.

Cette discussion, et peut-être celle qu'il avait eu avec son "mentor" Lucian Gaunt au sujet des seigneurs sorciers, laissaient peut-être des indices sur l'analyse profonde du professeur. Mais ces discours, élogieux de la langue de Lucian, critiques de la part de Blackwine, allaient à l'encontre de tout ce que James avait toujours appris, même dans les cours d'Histoire du professeur même... S'il avait pu juste l'ignorer, peut-être l'imaginer comme une sorte d'excentrisme venant de l'ombre de Serpentard, il allait désormais devoir en prendre compte. Quelle était vraiment l'Histoire des sorciers ?

- Seulement... nos générations l'ont quelque peu oublié.

Ajoutait Edward toujours avec lassitude. Et tandis que James était perdu dans ses pensées, le professeur lui rendit sa répartie :

- Mais très bien James, je ne lutterai pas pour avoir raison en dépit de tout, et j'espère toujours me tromper. Alors faites moi une faveur aussi...

Il posa un regard à l'intensité retrouvée sur le garçon au coeur cendré.

- Ne poussez pas Abigaïl à vous suivre dans vos ambitions. Il est simple d'être un conquérant lorsque l'on n'a plus rien à perdre, alors ayez pitié de sa mère au moins.

James avait-il au moins écouté ?

Ainsi, James avait accepté de prolonger la conversation en restant présent, toujours intrigué par l'opinion de son professeur. Bien que leurs visions divergeaient, bien que la Flamme jugeait le Corbeau quelque peu pathétique, il gardait un profond respect pour sa sagesse. Peut-être était-ce la prose, peut-être était-ce la justesse de ses propos, mais Edward réussissait à captiver le jeune homme à chacune de ses prises de parole. On était là bien loin de ses cours les plus inintéressants.

La divergence d'opinion ne s'arrêtait pas à lui, mais grimpait les échelons pour atteindre la tête pensante qui avait forgé une partie de sa réflexion plus jeune. Si le Gaunt leur avait révélé une partie de leur glorieux passé, et luttait aujourd'hui pour en faire le présent, le professeur apportait là des détails qui chamboulaient l'esprit de l'écossais. Ils étaient les ténèbres. Cela s'emboîtait et collait quelques pièces, formant une espèce de logique que l'écossais ne pouvait pas renier malgré sa mauvaise foi. Le Gaunt était d'ailleurs ce qu'il estimait être le plus proche de cesdits ténèbres.

Mais le pire vint ensuite, lorsque le directeur de maison plaça son élève, sa prodige, au milieu de la discussion. Il la protégeait là telle la Dame qu'elle était. Cette demande blessa le vert et l'écorcha vif, non pas parce qu'il l'estimait idiote, mais bien au contraire, parce que James était persuadé depuis longtemps qu'il était bel et bien une source de dangers pour la demoiselle. D'abord par les actes de Shane, puis  de par sa proximité avec l'Ombre et ce qui les avait obligés à faire, et enfin, à cause de son sang et des histoires qui lui étaient liés. Elle était ce trésor qu'il souhaitait protéger, mais il était aussi la source de ses principaux dangers.

« - Je... » Alors, le jeune homme parut déstabilisé un instant, le regard se perdant sur les planches encastrées qui formaient le sol, avant de relever la tête et de retrouver sa contenance. Trop tard, il s'était trahi. « - Elle fait partie de ceux qui méritent un autre monde que celui-là. N'êtes-vous pas d'accord ? »

Ses yeux constamment embrasés avaient retrouvé ceux du percepteur. Comment abandonner et accepter son sort lorsque l'on tenait à quelqu'un de la sorte ? C'était la première fois que James montrait autre chose que son propre prisme, qu'il exprimait une idée bien éloignée de l'égoïsme. S'il souhaitait se battre, peut-être régner, ce n'était pas uniquement pour être le héros qui les aurait délivrés du mal. Il souhaitait les voir en paix.

Son regard tomba aussi un peu vers le sol, alourdit par une sorte de mélancolie.

- Oui... aussi cruel que cela puisse paraître, certaines vies ont plus de valeur que d'autres...

Et pour sauver une chose, il fallait parfois en sacrifier une autre.

- Je connaissais son père. C'était une bonne personne, à l'opposé de l'hubris que je vous décrivais. Mais il était trop naïf... et a été trahi par son ami. J'aurais aimé qu'Abigaïl n'ait pas hérité de ce trait. Cela a failli lui coûter une fois déjà... Je ne doute pas du fait que vous ne lui ferez aucun mal volontairement... mais l'enfer est pavé de bonnes intentions dit-on. Shane aussi était... simplement... amoureux.

Comparait-il James à Shane ?

- Au moins elle ne l'aimait pas en retour. Et je me demande si ça aurait permis une meilleure fin à cette histoire...

Il soupira.

- Enfin, c'en est assez. La fatigue m'emporte et mes pensées sont tout azimut.

Le soleil disparaissait pour de bon derrière l'horizon, la pénombre reprenait son droit sur le monde et seules les étoiles régnaient désormais sur le firmament.

- Je vais finalement peut-être pouvoir admirer un peu la beauté du crépuscule... commenta le professeur en levant la tête au ciel s'assombrissant.

James ne s'attendait pas à ce que la jeune femme devienne le sujet principal de cette conversation. Les différentes remarques qui suivirent lui déplurent pour la plupart - même si la mention du père avait pu éveiller une certaine curiosité - et scellèrent cette discussion qui durait depuis un bon moment déjà. Le professeur avait fait aveu de sa fatigue, le soleil commençait à tomber à l'horizon, et le cadet ne souhaitait pas poursuivre après ce qu'il venait d'entendre. Il valait mieux couper court avant d'entartrer l'instant, ce que son interlocuteur proposait justement.

Son regard détailla une dernière fois son percepteur, plus cryptique que véritablement inspirant. Il brisa le silence après quelques secondes.

« - Alors je vous laisse... À bientôt, professeur. » conclut-il simplement, ravalant la colère qui était brièvement montée en lui, et refixant une dernière fois ses gants à ses poignets avant de s'en aller.

Il avait besoin de réfléchir à tout ce qu'il venait d'apprendre.