Pont principal

Qu'il avait pu être aigri depuis le départ... Mais la découverte du Belem avait soufflé sur les braises de l'écossais et éveillé en lui quelques petites envies d'aventures, innocentes et juvéniles. Cela lui rappelait de vieilles conversations qu'il avait échangé avec Helig et Navis, des discussions qui semblaient aujourd'hui dater d'une autre vie - tant les évènements s'étaient enchaînés depuis. L'embarquement, l'équipage, l'odeur de la mer et le vent dans les cheveux... C'était la première fois que l'Ashworth ressentait réellement cette impression de partir en voyage. Il mit quelques jours à se faire complètement au rythme marin, à ses nuits remuantes au sein des hamacs et à sa nourriture redondante, mais le Serpentard, qui ne l'avouait pas, appréciait un peu plus qu'un peu cette petite parenthèse maritime.

Il se trouvait aujourd'hui accoudé à la rambarde du pont principal, les yeux rivés sur la mer qui s'étendait à perte de vue. Son corps était bien évidemment couvert par le tissu malgré la chaleur environnante, ses gants par le cuir, et sa tête par un chapeau assez vissé pour que le vent ne puisse s'en emparer.

La méditerranée ! Une mer si importante pour l'histoire, si légendaire ! Une lueur cyan avait brillé dans son regard aussitôt qu'elle avait posé son regard sur l'étendue aqueuse et elle ne s'était pas éteinte depuis. Quelques fussent ses obligations, scolaires comme sociales, elle les interrompait, juste le temps d'une balade sur le pont à s'abreuver des horizons dont elle ne connaissait pas encore les contours. Elle était habillée d'une chemise en lin blanc parsemée de motifs que James avait l'habitude de voir qui se terminait en des manches bouffantes, d'un corset surmontant le tout et d'une jupe longue en velours sombre. Une tenue de "lady", qui s'adaptait bien aux intempéries de la haute mer, il ne faisait nul doute que Celonia avait prévu une garde-robe spécifique pour chaque étape de leur périple.

A l'approche de James, ses bottines claquèrent sur le pont, comme pour le prévenir de son arrivée alors qu'elle le rejoignait en posant son dos contre la rambarde.

- Monsieur Ashworth.

Roucoula-t-elle d'un ton qui était, comme toujours, aussi avenant agréable.

- Je crois que c'est la première fois depuis notre départ où j'arrive à t'imaginer sourire.

Continua-t-elle, espiègle. En se tournant vers elle, james pourra remarquer qu'elle était aussi coiffée ; d'un chapeau à large bord, orné de plumes et de rubans de soie.

Son attention fit happée par l'arrivée de Celonia, qui d'une voix maîtrisée et d'une remarque aiguisée, sut voler son regard jusqu'alors offert à l'horizon. Ses billes de charbon détaillèrent la silhouette de l'adolescente qui serait bientôt une jeune femme. Il fallait dire que ce voyage laissait plus d'expression vestimentaires à chacun que les tristes murs du château de Poudlard. La serdaigle frappait fort et se différenciait facilement du reste. Elle faisait là une bien belle héritière de la maison Harpis.

Cette dernière, qui imaginait visiblement bien, lui arracha de ce fait un sourire. Charmeur, taquin, ou simplement heureux ? C'était à son interlocutrice de l'interpréter comme elle le souhaitait, mais si son objectif en venant était d'apercevoir les dents blanches de l'éternel ganté, c'était chose faite. Il reprit, joueur.

« - Vous m'avez eu, demoiselle Harpis. »

Et l'écossais ne s'en cachait pas. Il n'était jamais aigri ou boudeur pour le style, loin de là.

« - Je n'avais jamais vu la mer avant hier. Enfin, pas de cette façon... » rectifia-t-il, puisque le vol entre l’Angleterre et la France leur avait donné un petit aperçu de la manche, mais rien de vraiment comparable.

Après un court silence qui s'était naturellement installé, James reprit.

« - T'as pas eu trop de mal à dormir, cette nuit ? Entre les remous des vagues et... Sûrement les trois-quatre exposés d'Abi sur les différents enchantements qui permettent à ce bateau d'exister. » ajouta-t-il, moqueur.

La jeune Harpis leva une main vers le ciel et décrocha un sourire espiègle en même temps que son épaule se haussait.

- Je vois un peu mieux que les autres, voilà tout !

Répondit elle sur un ton amusé avant de tourner la tête vers la mer, à son tour.

- Moi non plus... Je l'attendais depuis longtemps. Dit elle, pensive, tandis qu'elle s'apaisait l'esprit au rythme des vagues qui battaient contre la coque. Je me focalise sur la chance qui nous est offerte. Beaucoup de nos camarades restés à Poudlard n'iront sans doute jamais aussi loin de leur vie.

Une mélancolie lointaine, un spleen difficile à identifier s'ouvrageaient dans le spectre de ses paroles ; Comme porteuses d'une conviction qui n'était plus tout à faite sienne.

- Pour ce qui des incommodités de notre voyage... Elle sortit une petite boîte de la bourse attachée à la ceinture cintrant sa jupe et en sortit une petite boîte. - Ma maman m'a envoyé des espèces de petites pastilles faîtes à partir de menthe. Elle dit que c'est efficace contre le mal de mer. Tu en veux ?

James comprit évidemment la référence aux talents de la chère demoiselle. Il parut amusé, une lueur fière brillant au coin de ses iris, puis écouta simplement Celonia jusqu'à ce qu'elle ne finisse.

« - Elles fonctionnent aussi contre Abigail ? » répondit-il alors d'emblée, jouant à nouveau des mots pour tenter de voler un rire à sa partenaire du jour.

Mission réussie, car un rire aussi franc que maîtrisé glissa entre les dents de la jeune femme.

- Tu sais bien qu'Abigail est une force indomptable ! Même la meilleure des menthes ne pourrait rien contre elle !

Commenta-t-elle avec autant d'humour que d'estime pour sa préfète. La jeune Harpis n'aurait pas pu, en réalité, espérer meilleure voisine de chambre même si elle ne vouait guère de griefs aux autres filles de la délégation.

- Sa compagnie est toujours agréable, même si ses lectures sont un peu trop entendues à mon goût.

Une façon de dire que Celonia vouait sans doute plus d'affect pour ce qui sortait des sentiers battus que sa camarade.

« - Une manière bien polie de dire ce qu'on pense tous... »

James jouait avec humour, tout comme sa camarade, et cette dernière devinait aisément qu'aucune animosité envers sa préfète n'existait dans les mots du jeune home. La relation qui liait l'écossais à la Wright allait bien au-delà d'une simple amitié.

« - J'en veux bien, s'il te plait. » fit-il pour revenir aux fameuses pastilles à la menthe.

Il en récupéra quelques unes qu'il glissa dans un mouchoir propre, avant de remercier sa sauveuse pour son geste.

« - Alors dis-moi, quand tu disais l'attendre depuis longtemps toute à l'heure... Tu parlais de la mer, ou du voyage ? Peut-être des deux ? »

Cela ne l'étonnerait pas, venant de sa curieuse cadette.

Le regard de l'écossais s'était peu à peu déporté sur le professeur de botanique. Un regard qu'il échangeait avec Celonia, fronçant les sourcils d'incompréhension. Devaient-ils aller le voir ? Ce n'était pas James qui en avait envie...

- Je gage d'être un peu plus élaborée que la moyenne.

Rétorqua-t-elle, toujours espiègle, sans pour autant renier une insolence qu'elle jugeait tout à fait légitime. Elle laissa donc James récupérer quelques pastilles qui, elle l'espérait, soulageront ses hypothétiques troubles. Elle considéra ensuite la question qui lui était posée ; Celle-ci la laissa pensive un instant.

- J'attendais de sortir de ma cage. Bien sûr, nous sommes sous la responsabilité et la surveillance de la délégation de Poudlard et sommes donc, toujours, dans une sorte de cage, mais je crois que nous sommes encore en âge de nous contenter d'illusions.

Elle balaya l'horizon d'un las geste de main avant de se tourner lentement vers la source d'un bruit. Des sanglots ? Son regard se porta sur le professeur de botanique qui semblait bien malheureux. Son regard capta celui de James et une moue intriguée se dessina sur ses traits.

-Hum... Peut être devrions nous nous enquérir de son état ? Je n'aimerais pas que trois de nos professeurs se jettent du pont.

« - Cela briserait pourtant cette fameuse cage... » rebondit-il, d'une part pour appuyer les propos de la bleue, d'une autre pour assumer le fait qu'il aurait pu se contenter d'ignorer le professeur de botanique.

Mais Celonia l'empathique l'avait convaincu.

« - Allons-y. »

Il la suivrait donc.

"Si seulement..." eut elle envie de répondre, mais elle resta muette, se contentant d'accueillir les paroles ; Bien trop polémiques, de l'Ashworth d'un sourire amusé. Celonia marcha donc, sans doute accompagnée de James, jusqu'à la hauteur du vieux professeur pour s'enquérir de sa situation.

- Tout va bien, professeur Bagamba ?

Lui qui était si "jovial" (à sa façon) d'habitude, elle se demandait bien quelle obscure et bizarre intrigue pouvait bien le mettre dans un tel état. Sommes toutes, la curiosité l'avait emportée sur sa nonchalance habituelle.

Le professeur se retourna et vit de ses yeux tristounets la Serdaigle et les deux Serpentards venu le « réconforter ».

- Oh ce n’est rien mademoiselle Harpis…snif…c’est juste…juste…de vils poussières dans les yeux de Dadis…

Le professeur utilisa son mouchoir pour sécher les larmes qui perlaient sous ses yeux…Il dégaina ensuite une petite bouteille et en bu une gorgée. Au vu de l’odeur d’alcool qui émanait du professeur, ce n’était pas là de l’eau douce…Un regard face à la mer, puis un autre envers les élèves :

- Mais si vous insistez tous Dadis va vous compter ce qui chagrine l’éminence noire de Poudlard…

Ils n’avaient en fait pas vraiment insistés…

- Ce navire, cette mer, cette odeur, ces chavirements qui font chavirer le cœur de Dadis…Ils lui rappellent la traversée des esclaves…Des esclaves et d’Aoussa…Il y a près de 15 annuités solaires, ils ont prit la mer depuis l’Afrique pour les Amériques…Non pas par choix, non pas pour paresser, mais pour TRAVAILLER comme des bêtes de somme…

Sa voix s’était nouée…

- Des hommes et des femmes parmi ceux des terres voisines des terres de Dadis, et Dadis ne parle pas de la terre qui souille ses beaux mocassins en peau de serpent-phénix sur mesure…

Le dandis africain s’arrêta un instant en tapotant du pieds sur le sol, laissant l’occasion aux élèves de poser les yeux sur ses souliers rutilants…

- Arrachés de leurs famille et de leurs terres, puis entassés par les moldus dans des navires comme des bestiaux pour faire voile sur le nouveau monde…

Il toussota.

- Je me rappel d’eux tous et de leur visage, et surtout de celui d’Aoussa…Il savait lire !!! Il était fort et vaillant….Sur ce type de navire, peut-être même sur celui-là, beaucoup moururent durant la traversée et une fois arrivés ils furent tous chikotés…

Il bu une nouvelle gorgée…

- Le coeur de Dadis saigne…Car il doute…Que du haut de son âge qui ne vous regarde pas…Il puisse à nouveau réaliser une telle plue-value !!

Il frappa du poing contre la rambarde.

- 2000 galions !!! Vous rendez vous cooompteee ??!! DADIS LA MONTAGNE DU TCHAD N’GALA N’GALOU était parvenu à vendre Aoussa et toute sa tribu pour l’équivalent de 2000 galions !!

Il s’était exclamé vivement et de l’alcool ne manqua pas de tomber sur le plancher du navire.

- Et maintenant…maintenant je suis cantonné à cette île froide et glaciale et suis contraint moi le SAVANT de servir de précepteur et de gardienner des morveux pour gagner le sous…

À ces mots, le professeur bu une nouvelle gorgée tandis qu’il fondait à nouveau en larmes. l’Africain était bourré, comme une bourrique.

Sitôt l'encre levé et embarqué par quelques tours d'adresse avec Jude, des désordres gastriques avaient maintenu le grenadien éloigné des rassemblements sous le mat. Profitant des radoteries du Professeur Bagamba, Diego fit glisser dans son aumônière deux noises qui s’étaient opportunément égarés dans sa manche. Docile, il rajusta sa casquette et joignit les mains derrière son dos, pour assister d'un air grave au discours de l'ancien. L'occasion pour le serdaigle de se rappeler qu'on lui avait prêté, fut un temps, un lien de parenté avec Bagamba. Alors qu'il réfléchissait à la question, ses yeux s'arrêtèrent sur les mocassins du professeur de botanique.  

- Chikotés? Même les pétits negros?...

La lippe en avant et les sourcils froncés, les yeux du cabotin d'Amérique ricochaient entre les souliers de son professeur et sa bouteille d'eau-de vie. Il s'humecta tout juste les lèvres et recula d'un pas lorsque Bagamba eut un mouvement d'excès. Les courants traîtres qui tamponnaient la coque du Belem faisaient tourner la tête du jeune érudit, et quelque chose d'autre le retenait ici.  

Si n'importe quel être doté d'un minimum d'empathie aurait pu être touché par le début du récit, la chute, diablement Bagambesque, avait balayé les derniers espoirs de James quant à son professeur de botanique. Quelle espèce de monstre était-il ? L'histoire, à peine croyable, faisait plus froid dans le dos qu'autre chose. Le serpentard ne savait en fait ni comment réagir, ni quoi répondre. Flegmatique, il laissa ses yeux vagabonder entre ses différents camarades venus écouter le sorcier le plus excentrique du navire. Peut-être allait-il même en profiter pour s’éclipser... Mais l'écossais n’oubliait pas pour autant la raison de sa venue, se demandant si l'alcool que son percepteur tenait venait de sa propre réserve ou d'une cache commune au bateau.

Un original dont les éclairs de génie pardonnaient les errances constances. Un clown érudit. Un antipathique vieux diable qui trouvait malgré tout ses instants. Celonia avait voué beaucoup plus d'adjectifs à ce drôle de personnage qu'à tous ses autres enseignants réunis. En dépit de tout, elle lui avait toujours voué une sympathie un brin coupable... Coupable, jusqu'à ce qu'elle n'entende la fin de cette sordide histoire. Pour quelqu'un qui n'aspirait qu'à la liberté, se savoir aux côtés d'un esclavagiste dont le seul regret était de ne pas avoir fait plus de profits était un choc auquel elle ne s'était pas préparée. Heureusement, l'intervention importune et dont elle ne comprit pas la nature de Diego l'empêcha d'avoir à trop réfléchir à ce qu'elle venait d'entendre. L'envie de le faire passer par dessus bord l'avait piquée à vif, mais cette brève aparté lui avait permis de récupérer sa prestance.

- Cela va aller. Rigoureux comme vous êtes, vous avez plus qu'assez de temps pour flairer de nouvelles opportunités.

Dit elle en se forçant d'éviter de déglutir. Elle ne put s'empêcher, malgré tout, d'afficher un rictus singulièrement dégoûté à l'adresse de James avant de prendre une de ces pastilles. Finalement, elle n'était peut être pas totalement épargnée par les malaises. Elle fit un pas sur le côté et posa une main sur son front.

- Oh j'ai peur de tourner un peu trop, je vais m'éloigner un peu du pont.

Mentit elle d'une voix aussi convaincante que faire se peut.

Des « éclairs de génie » et en effet un éclair de génie ou plutôt une fulgurance jaillit de l’esprit imbibé par l’alcool de l’africain. Même à quelques encablures du coma étillique, l’esprit de l’africain avait décelé le malaise et le dégoût dans le regard et les attitudes des élèves auxquels il faisait face, aussi il ne prêta pas attention aux dires des deux aiglons azurs :

- Dadis pensait avoir à faire à de jeunes sorciers pleins de talent de FOUGUE, mais présentement Dadis a à faire à trois candides…

Il les dévisagea un à un de son regard brunâtre, faisant ce qu’il pouvait pour ne pas tourner de l’œil…

- Aoussa et sa tribu….

Il fit les gros yeux menaçants…

- Vous auraient LITTÉRATIONELLEMENT dévorés !!! Et auraient fait trôner à leurs cou vos nez, oreilles et doigts de pieds…En parlant de doigts de pieds…

À ces mots l’africain se déssaucha. Si la Serdaigle n’était pas réellement indisposée, l’odeur qui commençait à s’échapper des souliers du professeur ne tarderait pas l’indisposer PRÉSENTEMENT.

Fâcheuses intrigues que celles du nouveau monde et du sang versé au nom de la conquête et de ses rivalités. S'il n'avait jamais été esclave, le sang-mêlé avait vu les africains enchaînés baiser les terres de Carthagène en Nouvelle-Grenade. En avance sur les mœurs de leur homologues moldus, les sorciers espagnols étaient moins coutumiers de telles pratiques, mais le prix de la découverte et d'une nouvelle vie impliquaient parfois de s'acoquiner avec le mal. C'étaient bien des noirs qui avaient servi le gîte et le couvert à Carlos et Diego, lorsqu'ils accompagnaient leurs pères à des dîners chez leurs voisins.

L'attention du grenadien manqua de flancher face aux minauderies de sa consœur, alors qu'il retint aussitôt l'envie de se couvrir le nez face à l'initiative du professeur de botanique.

- Professor Bagamba, vous avez raisson. Yé souis soûr qué Aoussa a compris, pourquoi vous avez doû lé trahir... Vous déviez prendre ouna décisione.

Haussant la tête sur ses mots avec une expression des plus affables, Diego s'inclina avec une décence presque excessive, museau sous le bras.

- Vous êtes fatigué Professor, laissez-moi porter ces chaussoures à votre cabine.

Une discrète grimace fit son apparition sur le visage de l'écossais, dégouté, écœuré, répugné par son professeur de botanique. Voilà ce que l'on devenait à force de travailler la terre... Fidel était la fidèle (vous l'avez ?) représentation de ce que James se faisait des botanistes et même, par extension, des alchimistes. Des êtres puants qui baignaient dans leur jus à longueur de journée... Voyant Celonia s'éloigner après un regard complice dans sa direction, l'adolescent en profita pour la suivre, prétextant à son tour une excuse.

« - Attends Celonia, tu n'en aurais pas quelques-unes pour moi, par hasard ? » fit-il alors qu'il la rejoignait et quittait ce maudit Bagamba, tant pis pour son alcool.

Bien sûr, elle lui en avait déjà donné et pouvait aisément comprendre que ce n'était que son stratagème à lui pour s'enfuir du bourbier dans lesquels ils s'étaient enfoncés.