L'arbre au bord du Lac

De retour d'un de ses "coins d'entraînement" où elle s'entraînait lorsque James était occupé, la jeune femme revenait satisfaite de ses prestations. Elle maîtrisait de mieux en mieux le glacius, un sort qu'elle trouvait aussi efficace que grandiose. Peut être s'en inspirerait elle pour de futures créations ? Petit à petit, le jour où elle aura cumulé de savoirs pour faire ses propres créations approchait et il n'y avait guère d'horizons plus réjouissantes que celle-ci, à ses yeux. Elle aimait bifurquer par le lac noir pour rentrer, l'atmosphère des eaux grouillantes sous la garde d'un soleil déclinant avait quelque chose de singulièrement reposant. Toutefois, ce jour-là, un bruit puis, une vision vint briser la monotonie de sa balade.

La vision de deux chiens en train de laper l'eau du lac la fit hocher un sourcil circonspect. Heureusement, quelques secondes à les observer suffirent à lui faire réaliser qu'ils avaient très certainement été conjurés. La jeune fille, qui n'avait jamais renié son amour pour la conjuration et l'avait étudiée avec acharnement depuis son arrivée au château ne put s'empêcher de jauger la qualité de ces invocations. Elles semblaient aussi réussi qu'elles pouvaient l'être et son regard jadéite chercha, naturellement, l'auteur de ces "oeuvres". Elle n'eut pas à chercher longtemps, car le responsable était tranquillement installé sous un arbre en train de lire un ouvrage dont elle ne put reconnaitre le titre depuis sa position.

Dante Schtauffen, le féru de justice en personne. Leur dernière conversation avait été courtoise, mais son refus de laisser sa brave Epidia tranquille l'avait profondément contrariée. Heureusement il n'avait, semble-t-il, pas pris une quelconque disposition et l'affaire avait fini par être occultée des mémoires collectives. N'en restait pas moins un apriori acerbe à l'égard d'une chose qui avait terrifiée Celonia depuis qu'elle avait décidé de mener le petit jeu qu'elle affectionnait tant à Poudlard : Le zèle sous toutes ses formes. En dépit de tout, elle savait que la contrariété qui l'avait piquée à vif résultait, avant tout, de l'affection qu'elle avait pu vouer à ce garçon, fut un temps et elle ne souhaitait pas rester empêtrée dans un jugement trop hâtif.

- Ce sont de bien belles conjurations.

Lança-t-elle à l'adresse du garçon d'une voix juste assez maîtrisée pour ne pas le sortir de sa lecture trop brusquement. Celonia passa une de ses mèche ambrée derrière son oreille avant de laisser un sourire amène se graver sur son visage.

- Comment vas tu, Dante ?

Dans la lueur ambrée du crépuscule, Dante demeurait plongé dans les pages de son ouvrage, indifférent aux murmures qui effleuraient ses oreilles. Le soleil déclinait, baignant le ciel d'une teinte bleutée où quelques étoiles timides perçaient déjà l'immensité céleste. À distance raisonnable, Celonia distinguait le titre de l'ouvrage entre ses mains : "Les secrets du monde". Ignorant tout de l'état d'esprit de la jeune Serdaigle à son égard, Dante avait relégué au second plan le débat qui avait animé leur dernière rencontre. Il est vrai que bien des événements s'étaient déroulés depuis lors.

À l'approche de la Serdaigle, les deux chiens émergèrent des eaux avoisinantes pour s'approcher du Gryffondor, accueillant ses caresses bienveillantes. Un sourire se dessina sur ses lèvres tandis qu'il se tournait vers Celonia.

- Et que penses-tu de celles à tes pieds ? lança-t-il, désignant d'un mouvement de tête trois grands serpents ondulant dans l'herbe à proximité de la jeune fille. Pourtant, ils ne semblaient guère menaçants, comme les chiens qu'il avait conjurés. Dans l'attente d'une réaction de sa part, Dante, amusé, lui renvoya sa question.

- Je me porte bien, et toi ?

Son regard glissa vers le sol désigné par son aîné. Des serpents. Elle fit un mouvement de recul en les apercevant, son regard s'écarquillant légèrement le temps qu'elle comprenne qu'ils étaient, eux aussi, conjurés.

- Hum... Elle laissa sa tête basculer sur le côté alors qu'elle continuait de suivre des yeux les reptiles grouillants. Convaincante !

Roucoula-t-elle, finalement, avec le terne enthousiasme qu'elle manifestait toujours en public. Elle fit quelques pas pour se rapprocher de son interlocuteur toujours vautré sous son arbre et profita de l'occasion pour s'enquérir du titre de son livre.

- Un beau voyage en prévision et des temps paisibles, il n'y a nulle raison de bien se porter.

Conclut elle, occultant sa récente participation à une scène de guerre qu'elle parvenait à occulter avec grande habileté.

- De mal se porter, plutôt... ? rétorqua-t-il, posant délicatement son livre sur le sol, tandis qu'il faisait jaillir sa baguette de sa poche pour dissiper les présences animales qui rôdaient autour d'eux. D'un geste courtois, il lui indiqua un coin d'herbe proche, l'invitant à s'y installer à sa guise, avant de poursuivre.

- Je suppose que le voyage doit te préoccuper.

L'implication de la jeune Serdaigle dans les récents conflits impliquant les Lucioles lui demeurait inconnue. Il n'avait guère eu vent des derniers événements, et semblait en paix avec son ignorance.

Une seconde fois, elle hocha la tête sur le côté avant d'afficher un sourire crispé, qui semblait presque lui avoir été arraché par la contrainte mais qui, curieusement, était peut être plus sincère que ceux auxquels Dante était habitué.

- Lapsus intéressant.

Siffla-t-elle, amusée avant de monter au niveau désigné par le jeune lion. Elle le considéra un instant avant de sortir d'un pan de son uniforme un tissu qu'elle déplia prestement avant de s'asseoir dessus.

- Ce n'est pas vraiment le mot que j'emploierais. J'ai toujours voulu être libre de pouvoir voyager à ma guise alors une telle perspective me rend on ne peut plus heureuse. J'ai un peu d'appréhension pour mes BUSES mais, en toute franchise, je ne devrais pas. J'aurais presque pu les passer dès la fin de l'année dernière avec un sincère espoir de réussite, mais je suis perfectionniste.

Elle laissa planer un bref instant de silence avant de fixer le château.

- L'autre jour je me suis souvenue de la fois où nous êtions ensemble lors d'un cours de potion ! Tu sais que j'ai toujours la fiole que nous avions gagnée ce jour-là sur moi ?

Une anecdote venue témoigner d'un passé pas si ancien, mais si récent non plus. Néanmoins, Celonia sentait déjà les années défiler et avait déjà commencé à trier certains moments qu'elle jugeait "précieux".

Madame, soucieuse de préserver l'intégrité immaculée de sa robe, semblait révérer l'élégance tandis que sa camarade aux bouclettes dorées, indifférente aux convenances, pouvait s'abandonner à la fange. Tel le contraste saisissant entre les deux, féminité exquise et rusticité sans fard. La dualité allait même jusqu'aux enjeux des examens BUSES et l'impératif d'une perfection sans faille, les deux adolescentes se distinguaient en bien des aspects.

Lorsqu'elle évoqua ce fragment de leur passé commun, un pâle reflet de nostalgie voila son visage. Dante, en un silence complice, lui témoigna son souvenir de cette époque, une page désormais tournée pour laisser place à d'autres chapitres de leur vie.

- Si je ne m'abuse, c'était là ta première potion élaborée. Pourquoi ne pas l'avoir employée ? s'enquit-il, non par défiance envers les réminescences passé, mais par cette insatiable curiosité qui l'aurait conduit, lui, à la consommer.

Etait-ce vraiment sa première potion élaborée ? Elle fouilla dans ses souvenirs un instant, l'anecdote méritait d'être marquée au fer de la véracité et, après s'être prestement secouée les méninges, Celonia en arriva à la conclusion que c'était certainement vrai.

Droite comme un piquet, elle se permit de s'étendre un peu tout en considérant la question de Dante avec un amusement qu'elle ne cherchait pas à dissimuler.

- Hum, dois je comprendre que j'en aurais besoin ? Roucoula-t-elle sans tressaillir alors que son regard se reportait vers le brun. Une telle assomption aurait de quoi froisser.

Evidemment, elle se doutait que lui comme elle jouaient de taquineries, mais c'était là un jeu qu'elle trouvait particulièrement plaisant.

Imperméable à la taquinerie, elle ne semblait pas s'insurger face à la pique dissimulée du Gryffondor, qui n'était évidemment pas sincère. Provoquer des émotions, rendre l'interaction intéressante en y introduisant des hauts et des bas, étaient des mécanismes inconscients que Dante s'amusait à mettre en place de manière involontaire.

- L'adolescence peut parfois être traître pour certaines personnes... Lança-t-il, laissant planer une ambiguïté sur ses intentions. 

- Personnellement, je l'aurais utilisée juste pour en voir les effets, ajouta-t-il avec un brin de recul, réalisant avec étonnement qu'il n'avait jamais consommé de potion de beauté, ni même de potion en général à titre personnel.

- Maintenant, je suis froissée !

Dit elle sur un ton toujours aussi jovial. Ce n'était pas la première fois que Dante jouait de telle espiègleries et quoique la jeune Harpis de fusse pas dénuée d'orgueil, celui-ci ne se manifestait jamais d'une telle façon.

- Hum... Personnellement, j'ai ingurgité de belles doses de potions médicinales après notre expédition dans la forêt ; à commencer par un antidote universel. Je ne pense pas qu'on rate grand chose à se passer de telles expériences.

Dit elle d'une voix qui se maîtrisait tout juste assez pour ne pas maugréer. En fin de compte, elle n'était pas nostalgique de cette époque pour un sou et s'en souvenait chaque fois que cet épisode était évoqué. Elle était persuadée qu'avec sa nouvelle baguette et ses nouvelles compétences, elle ne ferait qu'une bouchée de cette acromentule et n'aurait absolument pas besoin d'aide. Peut être agissait elle par péchés d'orgueil, mais ses échecs avaient été trop rares pour qu'elle manque de confiance.

- J'espère pour toi qu'à l'avenir tu n'auras plus à en ingurgiter, s'énonce t-il, une ombre de préoccupation venant voiler son regard ainsi que sa voix.

Mine de rien, il se remémora cet incident et se reprocha de ne pas s'être soucié de Celonia et de son état. À ce moment-là, il était embourbé dans l'affaire du meurtre de Shane, ses pensées s'égaraient quant à l'acte du Serpentard qui avait froidement achevé le Serdaigle alors qu'il était déjà vaincu. Il avait également surpris Augustus en train de piller le cadavre de Shane, un camarade proche autrefois mais aujourd'hui réduit à un pâle souvenir.

- D'ailleurs, tu me fais penser que je dois passer dans la semaine dans une salle de potions pour en produire quelques-unes avant le voyage. Ne sait-on jamais sur quoi nous allons tomber une fois en Égypte, ajouta-t-il, songeur. Quelques essences de soin et un antidote universel devraient suffire pour le voyage.

Une affaire dans laquelle Celonia n'avait pas pataugé ce qui lui convenait très bien. Devoir prendre parti pour les uns ou pour les autres l'aurait singulièrement ennuyée et, dans son malheur, les "graves" blessures qu'elle avait endurées lui avaient conféré une immunité à cette polémique, ce dont elle se féliciterait si elle était un brin plus mesquine.

- Je ferai au mieux. Je n'aurais pas eu à subir pareil revers si ma baguette ne s'était pas retournée contre moi au pire moment. Faute d'avoir vaincu l'acromentule, j'ai au moins pu me venger de ce maudit bout de bois.

Dans un geste désespéré, elle avait tenté de poignarder l'acromentule avec son artefact magique. Une action qui n'avait pas fait grand chose au monstre, mais qui avait au moins eu le mérite de sceller le destin de la "véritable" responsable de ses déboires. Pour le reste, elle n'oubliait pas que c'était Maria qui avait tué l'acromentule ce qui avait fait naître, dans l'esprit de la jeune Harpis, une reconnaissance qu'elle s'était promis d'honorer.

- Tu devrais passer au club d'Eleanor dans les sous-sol. Rétorqua-t-elle en hochant son minois. Mais c'est très bien pensé, il est vrai que je devrais peut être, moi aussi, préparer quelques concoctions...

- À l'avenir, il me faudra économiser pour m'en procurer une nouvelle, admit Dante.

Bien qu'il possédât déjà trois baguettes , celles-ci étaient de piètre qualité, à l'exception de celle offerte par ses parents, imprégnée d'une valeur sentimentale inestimable. Cependant, l'envie d'acquérir une nouvelle baguette pour se défaire de cette malédiction des sorts ratés, susceptibles de se retourner contre leur lanceur, le titillait.

- Au départ, j'étais plutôt réticent à cette idée, pensant que la baguette ne faisait pas le sorcier... À présent, je dois avouer que mon opinion sur la question a évolué, confessa-t-il.

Le Club de Potions d'Eleanor lui était familier, et il envisageait sérieusement de le rejoindre afin de bénéficier de ses avantages. Après tout, ce n'était pas tous les jours que Poudlard finançait un tel projet, il convenait donc d'en profiter pleinement.

- C'est prévu, nous pourrions même renouveler l'expérience de la concoction d'une potion. Je serais curieux de constater tes progrès depuis le temps, ajouta-t-il, esquissant un léger sourire.

Elle salua la résolution de son aîné d'un bref hochement de tête, il était temps que tous les sorciers s'y mettent. L'époque à laquelle ils vivaient n'était pas aussi clémente que celle de leurs aînés et ce qui était, autrefois, vu comme un petit incident pouvait désormais se transformer en une mort prématurée. Elle le savait mieux que personne.

- Une sage décision !

Quelque soit les investissements qu'on puisse faire, la baguette demeurait l'outil primaire, l'alpha et oméga de la quasi totalité des vocations du monde sorcier. Dès lors, elle devait avoir la priorité sur le reste.

- Oui, j'en connais qui disent encore ça...

Elle soupira en pensant à Jude qui, en bonne tête de mule suicidaire, n'avait jamais voulu entendre ses avertissements. Elle espérait simplement que le jour où le destin lui tombera dessus, ce sera au terme d'un duel amical et pas dans une situation de vie ou de mort ou, pire, lors d'une mission en sa compagnie ; car elle ne pardonnerait pas d'être mise en danger au nom de principes qu'elle considérait comme lunaires. Elle n'avait jamais eu de patience pour les têtes dures.

Elle considéra la proposition de Dante avec un sourire d'un enthousiasme rare.

- C'est une proposition tout à fait bienvenue ! Je l'accepte avec plaisir !

- Les premières mornilles de mon salaire d'archéologue seront consacrées à l'acquisition d'une baguette, un investissement qui je pense sera symbolique dans mon chemin à venir, tu peux en être persuadée !

Avec une subtilité toute en nuances, il lui dévoila ses aspirations futures, comme si les mots eux-mêmes étaient des indices des chemins qu'il était destiné à parcourir. D'ailleurs, contrairement aux stéréotypes qui collait souvent à la peau du préfet Gryffondor, réputé pour ses prouesses au duel, il avait choisi de suivre les contours de son cœur, là où vibraient les échos de son amour pour l'exploration et le frisson de l'aventure.

- Alors, c'est entendu. Nous devrions essayer de faire cela avant notre départ pour l'Egypte, déclara-t-il, une lueur d'anticipation brillant dans son regard.

Après avoir ainsi évoqué son propre avenir professionnel, il se prit à réfléchir aux horizons qui attendaient la jeune aiglonne, lorsqu'elle quitterait les enceintes protectrices de Poudlard pour s'immerger dans les eaux tumultueuses de la vie adulte au sein de la communauté sorcière.

- Quant à toi, est ce que tu as déjà une idée en tête de métier qui te conviendrait ?

Elle approuva de vifs hochements de têtes les deux initiatives de Dante. Toutefois, elle sembla quelque peu intriguée par le "plan de carrière" de son camarade. Contrairement au vœux de devenir un chasseur voire tueur de sorciers choisi par un de ses camarades, Celonia respectait beaucoup plus le choix qui lui était présenté. Elle le respectait tant, qu'en fait, c'était là une des carrières qu'elle pouvait encore se permettre d'envisager.

- Hum c'est amusant... Dit elle en se fendant d'un petit sourire avant de dégager une mèche ambrée de sa joue d'un revers de son index. J'ai discuté d'orientation avec des professeurs, l'autre jour, et l'un d'eux a dit qu'archéologue ou quelque chose de similaire me conviendrait bien. Les arguments présentés étaient pertinents.

Conclut elle avant de prendre une longue inspiration pour mieux laisser échapper un soupir aux soubresauts résolument spleenétiques.

- Mais il y a beaucoup de points à éclaircir avant que je ne puisse envisager une carrière dans quoique ce soit.

Son statut de jeune femme de sang-pur était, évidemment, un élément qu'elle ne pouvait pas occulter. Toutefois, ce qui la préoccupait le plus, c'était les possibles évolutions du conflit avec les moldus. Toute question relevant de l'avenir tenait de la pure spéculation, la concernant.

Dans la perspective de voir Celonia embrasser la voie de l'archéologie, le Gryffondor trouvait un amusement certain, bien que cette proposition d'orientation lui fut suggérée plutôt qu'issue d'un choix délibéré, comme ce fut le cas pour Dante.

- Oh, je ne m'attendais guère à cela, déclara-t-il avec un rire léger, un éclat rare qui illuminait son visage, toujours auréolé d'un sourire charmeur aux lèvres. Il se prit à se questionner sur les critères qui avaient conduit les professeurs à lui recommander ce chemin professionnel.

- Des points à éclaircir... Fais-tu allusion au contexte actuel ou à des considérations plus personnelles ? demanda-t-il, fronçant de manière subreptice les sourcils, manifestant son intrigue face aux questions que Celonia devait élucider avant de prendre une décision.

- Il te reste encore un peu de temps de toute manière. Peut-être qu'une nouvelle vocation se révélera d'elle-même d'ici la fin de ta septième année, ajouta-t-il, laissant entrevoir la possibilité d'un destin inattendu, où le hasard pourrait jouer un rôle décisif.

Dans quel métier les gens l'imaginaient ? Elle ne s'était pas posée la question jusqu'alors et cela ne l'intéressait pas vraiment de le savoir. Toutefois, l'amusement manifesté par Dante la contraria quelque peu. Sans doute ne correspondait elle pas à l'archétype attendu. Elle s'y attendait, en avait l'habitude et savait qu'en pareil cas, la meilleure réponse à apporter était encore le silence. Ainsi, elle se contenta d'hocher la tête, occultant le rire de Dante sans s'en offusquer, ni même montrer quelconque signe de contrariété. Un sourire poli, un gloussement qu'elle extirpa du fond de son gosier puis elle occulta l'affaire et répondit à la suite.

- Le contexte est important, oui. Répondit elle en hochant vigoureusement la tête. J'ai parfois l'impression que tout peut basculer du jour au lendemain. Nous avons eu la chance de pouvoir étudier jusqu'à aujourd'hui sans plus de problèmes que ça, mais savons nous vraiment ce qui se passe dehors ? Hors de notre cocon et hors de Pré-Au-Lard ?

En fin de compte, Celonia n'en savait pas plus que les autres malgré le fait que sa famille ne soit pas établie dans le village.

- Mais il y a aussi de potentielles obligations familiales qui vont venir... J'ai été épargnée de tout ça jusqu'alors à cause de la guerre et de l'isolement de ma famille, mais l'heure viendra où il faudra que je réfléchisse à tout ça également.

Elle hocha les épaules, chassant cette préoccupation qui, quoiqu'elle soit sans doute effectivement proche, n'était pas encore là et n'avait donc pas de raisons de l'angoisser.

- Mais tu as raison ! J'ai encore quasi 3 ans, on ne sait jamais ce qui va se passer !

N'ayant point le don prophétique, et Celonia maniant les masques avec autant d'adresse que les Harpis manient les fils, il ne saurait deviner l'accueil que son rire trouverait chez elle. À son inquiétude face à un avenir incertain, il répondrait avec gravité.

- Tout peut basculer d'un jour à l'autre.

Le choix de son destin avait été assumé par le Griffon, sans qu'aucun signe ne le destine à emprunter les sentiers tracés par certains de ses pairs à Poudlard, du moins pour l'instant.

- C'est pourquoi j'écoute les murmures de mon cœur et refuse de me précipiter dans l'ardeur du conflit se mêlant à l'Inquisition, comme le feraient les plus engagés. Cela peut sembler égoïste, mais je ne me pose point en héros. Mon dessein est de laisser une empreinte dans le monde magique à travers mes découvertes, et non de verser le sang.

Sa mère étant moldue, peut-être refusait-il de perpétuer le cycle de la mort et de s'engager dans cette guerre. Ses pensées se mêlaient en un enchevêtrement confus, égarant sa raison. Pour conserver sa sanité mentale, il lui fallait se focaliser sur ce qui animait véritablement son esprit adolescent.

- Cependant, certains ont été préservés des horreurs de cette guerre, tandis que d'autres ont perdu des êtres chers. Certains ont de véritables raisons de s'engager dans ce conflit, mais ma famille et moi-même avons fui notre village sans subir de dommages importants.

Ils avaient eu la chance d'être avertis à temps de l'arrivée de l'Inquisition, ce qui avait permis au village de migrer vers Pré-au-Lard.

- Pourtant, selon l'évolution du conflit, tout sorcier pourrait être amené à y participer. Espérons que cela n'advienne jamais.

Le quiproquo occulté, la jeune femme écouta patiemment les raisons et les motivations de son camarade rouge. Une sagesse bien plus réfléchie que ce à quoi elle se serait attendue lui berça les oreilles alors que Dante terminait son petit monologue. Elle resta silencieuse quelques secondes, la bouche close et le regard rivé vers une tour du château.

- Je suis dans la même situation que toi... Siffla-t-elle d'une voix lointaine et éteinte ; Comme si le cours de ses pensées peinait encore à se former. Mes parents et mon frère vont bien. Nous avons, certes, été contraints de quitter la maison, mais nous l'avons fait à temps... Mon père a pris cette décision après qu'ils aient eu mon oncle.

Le cousin de Celonia, celui qui voguait à travers le pays pour livrer les produits ne pouvant être transportés autrement et qui était parfois aperçu en train d'accompagner Celonia jusqu'à pré-Au-Lard avait eu la chance d'être chez Archer Harpis lorsque la terrible nouvelle leur était parvenue. Depuis, le jeune garçon avait bien grandi et quoiqu'il exerçait toujours le même "métier", il était maintenant un adulte accompli.

Un soupir souleva le torse de la jeune femme et un sourire tâché d'un rictus spleenétique lui étira le visage.

- Il n'était pas aussi bon couturier que mon père, en fait il détestait ça, au grand damne de ses parents. Il s'était lancé dans une affaire d'ébénisterie qui n'avait jamais trop marché, mais papa lui achetait toujours un petit quelque chose à l'occasion. Je me souviens qu'il m'appelait Niania. Je me plaignais beaucoup quand j'étais petite, j'étais moins sage.

Le sourire s'agrandit autant qu'il se détendit, ses dents se dévoilèrent et elle secoua doucement la tête, comme si elle cherchait à chasser quelque chose qui rôderait autour d'elle.

- Il était gentil. Pourtant, ce n'est pas sa mémoire qui m'a forgée pendant tous les mois, toutes les années qui sont passées avant que je n'entre dans ce château. Je me souviens des interminables voyages en calèche à arpenter les plus obscurs des chemins par crainte de se faire attraper... Je me souviens de toutes ces villes, toutes ces auberges devant lesquelles nous passions sans avoir le droit d'y mettre ne serait-ce que les pieds par peur de finir sur un bûcher... Cette nécessité de se taire, de baisser la voix quand nous croisions une autre carriole... Cette impossibilité de sortir de sa cage...

Elle soupira.

- Je suis la fille aînée d'une vieille famille de sang-pur. Beaucoup de contraintes, beaucoup de restrictions, beaucoup d'obligations ont été posées au dessus de ma tête dès ma naissance, j'avais fini par m'en accommoder, d'accepter l'idée qu'une grande cage dorée valait mieux que beaucoup d'autres situations, mais les moldus l'ont rendu plus petite, plus étroite et plus asphyxiante qu'elle ne l'était déjà. Alors... J'ai suffoqué.

Elle rabattit ses jambes vers son torse et les cercla avec ses bras avant de, finalement, revenir vers son interlocuteur.

- Je n'ai pas envie, je ne peux pas passer des décennies voire une vie comme ça. Je ne veux ni ne peux supporter une telle perspective, alors... Je fais les efforts nécessaires et c'est ce qui motivera mes actions, toujours.

Les tours du domaine s'effaçaient lentement sous le voile obscur de la nuit, telles des ombres évanescentes dans l'abîme du temps. Les remous de l'eau du Lac noir contre la rive apportaient une douce mélodie à l'âme houleuse de questionnement. Le frémissement des feuilles de l'arbre au dessus de leurs têtes et de l'herbe sous leurs pieds, en communion avec la brise silencieuse dessinait finalement, l'harmonie de cet adagio d'automne où chaque souffle semblait être une note dans cette symphonie nocturne.

Dante, suspendu aux paroles de sa camarade, se tut, laissant planer un silence solennel tandis qu'elle déversait son cœur. Une fois son sac vidé, il inspira profondément, laissant les révélations s'inscrire dans son esprit comme des strophes d'une poésie inquiète. Témoin des tourments qui avaient étreint l'Harpis, il se sentit honoré de sa confiance. Le Griffon, dissimulant ses émotions derrière un faciès d'impassibilité, était néanmoins touché par cette confidence. À ses yeux, c'était une forme de détresse qui éveillait l'enfant compatissant et noble qui sommeillait en lui, un écho poignant de son propre vécu.

Un geste, sobre mais chargé de réconfort, fût sa main qui vint enserrer doucement l'épaule de sa camarade, exprimant une compassion muette et profonde. Enfin, au moment où il s'apprêtait à rompre le silence, une chouette prit son envol à plusieurs mètres d'eux, s'élançant vers l'inconnu. Son chuintement parvint à leurs oreilles avant de se fondre dans la clarté de la lune. Un sourire opportun éclaira le visage du Rouge, qui fit un rapprochement de circonstance.

- La chouette de Minerve prend son envol au crépuscule...

Dans les annales de la mythologie romaine, Minerve se dresse telle une éclatante figure, incarnation même de la sagesse. Son emblème, la chouette, symbole ancestral de clairvoyance et de perspicacité, s'érige en gardienne de la connaissance et de la réflexion.

Et voici que le crépuscule, ce moment d'entre-deux où le jour cède la place à la nuit, où les affaires terrestres se taisent pour laisser place à l'écho des âmes, se profile à l'horizon. C'est l'instant fugace où l'âme humaine, éclairée par les derniers rayons du soleil mourant, se confronte à ses propres limites.

- Cette apparition, Celonia, pourrait presque sembler banale tant elle se fond à la perfection dans ce moment que l'on partage.

Conscient que ses pensées pourraient sembler en cet instant nébuleuses pour la Serdaigle, Dante se permit quelques éclaircissements d'augure afin d'illuminer au mieux sa lanterne.

- Dans les âges anciens, la chouette était perçue comme une bénédiction. Elles prenaient leur envol lors des conflits, planant au-dessus des rangs armés pour insuffler courage et force, les poussant à persévérer dans leurs décisions, à s'accrocher à la vie et à croire en leurs desseins.

Le préfet des Gryffondors resserra doucement son étreinte sur son épaule et ajouta, son regard toujours embrasé par cette flamme de volonté qui l'animait lorsqu'il agissait avec sérieux et intention.

- Tu es aussi brave et courageuse que tu es intelligente. Tes ailes ardentes briseront cette cage qui semble se refermer sur toi, et alors tu prendras ton envol.

Il portait en estime l'aiglonne, et la voir s'enliser dans la mélancolie et sous le poids des soucis, des responsabilités à venir le plongeait dans une profonde inquiétude. En cet instant, il se sentait démuni, ne disposant d'aucune solution à lui offrir si ce n'est ces quelques mots, comme un maigre baume pour apaiser son tourment.

Un petit geste. Héraut d'un réconfort qu'elle n'avait jamais réclamé, presque anodin, mais qui ramena brusquement la jeune Harpis à une sorte de raison qu'elle avait presque fini par oublier. Derrière les belles manières, derrière les impeccables bienséances, les sourires crispés et les tons maîtrisés demeurait une jeune fille qui, comme tout un chacun, cherchait un peu de chaleur. Elle qui avait été les yeux d'une troupe de sorciers venue chercher le sang n'avait jamais pris le temps de penser à tout cela. Ses yeux étaient capables de transcender bien des barrières, mais n'était ce pas vain de ne les consacrer qu'à un seul dessein ?

Son corps tressaillit, d'abord, puis se détendit brusquement, comme si ses os gelés avaient soudain été exposées au plus grandiose des brasiers. Ses yeux, éberlués et écarquillés, s'apprêtaient à adresser une reconnaissance médusée au lionceau lorsqu'un chuintement vibra contre ses tympans. Le volatile s'évanouissait dans l'horizon chimérique alors que Dante se lançait dans une déclaration au coeur sibyllin, mais dont les contours furent bien vite éclaircis. Elle sentit l'étreinte s'affermir. Le geste et les mots...

Son coeur rata un battement lorsqu'elle entendit les compliments qui lui étaient adressés et plus encore lorsqu'on lui prêta ses desseins. Un petit sourire, aussi jovial que reconnaissant marqua son visage et ce regard qui devait être marqué par la surprise ne se montra à Dante que sous le voile de la reconnaissance.

- Merci.

Un seul mot, elle estima que cela suffisait pour l'instant. Elle prit une longue inspiration alors que son regard continuait de suivre le sillage de l'oiseau... "La chouette de Minerve", quel symbole inspirant...

Après quelques secondes à considérer les paroles teintées de mysticismes et d'anecdotes antiques, un ricanement enjoué siffla entre ses lèvres. Elle n'avait vraiment pas cherché à se morfondre, mais peut être que ses motivations ou, plutôt, le mal être dont elles étaient nées lui valaient une certaine empathie ?

- Je trouve cela amusant... Je ne pensais pas que mes desseins me voueraient pareille sympathie.

Son épaule se mouva doucement, tranquillement, pour se détacher de sa prise sans la brusquer d'une quelconque façon. Un signal à Dante ; L'attention avait été appréciée et elle sera considérée à tête reposée.

- Certains les trouveront égoïstes, voire inappropriés pour quelqu'un comme moi. Je te remercie de les respecter et... Je vouerais le même respect aux tiens !

Promit elle avec un enthousiasme renouvelé. C'était là sa façon de faire son mea culpa vis à vis des pensées inquisitrices qu'elle avait vouées au jeune lion lors de leur dernière conversation.

Sans prêcher l'éloge, il inclina doucement la tête en direction de Celonia, lui offrant un regard teinté de compréhension et de soutien une fois sa réponse délivrée. Tel était son rôle d'aîné, que d'être la solide épaule sur laquelle elle pouvait déposer ne serait-ce qu'un fragment de son fardeau. Tout comme il était de son devoir en tant que préfet de veiller au bien-être des élèves du château.

La chouette, témoin silencieux de leurs échanges, s'était fondu dans le décor depuis, devenant un simple spectateur parmi les arbres. Une brise plus vigoureuse que précédemment vint caresser les deux gardiens du Lac Noir, annonçant subtilement qu'il était temps de quitter cet endroit paisible pour éviter de se figer dans le froid de la nuit naissante.

Dante se redressa alors, ajustant les pans de sa veste de sorcier avec une grâce naturelle, tandis qu'il secouait l'arrière de son pantalon d'un geste léger pour y chasser la saleté. D'un mouvement empreint de politesse, il tendit la main pour aider Celonia à se redresser. Après un moment de silence respectueux, il conclut le sujet en s'exprimant à son égard.

- Il est temps de retourner au château, le dîner approche à grands pas dans la Grande Salle.

Sur ces mots, sans plus attendre, il entama une marche lente et méditative en direction de l'esplanade, suivant le chemin le plus direct depuis l'arbre au bord du lac. Chaque pas était empreint de réflexion et de contemplation, comme s'il portait en lui le poids de leurs échanges et le fardeau de leurs souvenirs passés. Et ainsi, ils retrouvèrent le chemin des portes majestueuses du Grand Hall, prêts à rejoindre le monde animé et lumineux qui les attendait à l'intérieur.

C'est, évidemment, accompagnée d'un sourire aussi enchanté que reconnaissant que la jeune Harpis accepta la galanterie de Dante. Sa main saisie, elle se redressa et, par réflexe, épousseta les pans de sa robe même si les précautions qu'elle avait prises ne rendait pas une telle manoeuvre nécessaire. Le crépuscule approchait et, elle aussi, n'avait pas coeur à conclure cette conversation sous le joug de l'obscurité.

- Il est vrai.

Se contentera-t-elle de dire sur un ton d'une légèreté quasi candide avant de raccompagner le préfet jusqu'au château. Le trajet fut de peu de mots, mais pas désagréable pour un sou. Une fois devant le grand hall, elle s'en ira vers la table portant ses couleurs, non sans garder à l'esprit les mots de son aîné qui, à n'en point douter, resteront.