Lo’Smith, enchanteur

Le vendeur, un vieil homme doté d’une longue barbe cendrée surmontée d’une couronne de cheveux grisâtre encerclant un crâne chauve, leva les yeux vers la nouvelle venue, ses lunettes lui tombant sur la bouche. Il grommela, et réhaussa ses verres, les posant sur l’arrête de son imposant nez dont sortaient par les nasaux, tel des algues, d’épais poils blancs.

- Bonjour jeune fille. Je peux vous aider?

La longue barbe et ce gros trou dans les cheveux ne laissaient pas l'ombre d'un doute, Monsieur l'enchanteur ou Lo Smith comme il se faisait appeler était un homme dont le passé était plus chargé que le serait son avenir... Peut être que l'âge lui avait fait oublier le sortilège du recurvite ? Des pensées qu'elle ne pouvait pas énoncer... La vérité sortait de la bouche des enfants mais pour certaines personnes il était parfois difficile de l'entendre.

- Oui Monsieur Lo Smith...

La jeune fille renforça son emprise sur sa poupée, cela la mettait mal à l'aise de discuter avec un inconnu.

- Est ce que...j'ai le droit de regarder vos articles sans forcément acheter ?

Une question peut être bête mais nécessaire pour elle.

- Je...Je ne suis pas une voleuse !

Elle avait paniqué, elle n'avait pas besoin de dire ça mais elle se sentait obligée de se justifier. Se justifier de quoi ? Des scénarios qu'elle se faisait dans sa tête et dans lequel Lo Smith pensait qu'elle était entrée dans sa boutique pour le voler.

Un franc sourire se dessina sous la barbe broussailleuse du vieil homme.

- Bien sûr.

Il réhaussa une énième fois ses lunettes, tapant son journal sur le bureau ; sûrement un tic.

- Bonne visite…

- Merci !

La voilà rassurée ! Elle pouvait se balader sans la crainte que Monsieur Lo Smith puisse penser qu'elle pouvait le dérober. La jeune fille se retourna, sa cape adadas accompagnant son geste faisant ainsi s'envoler la poussière des environs. Mais alors qu'elle allait entamer sa visite de la boutique, quelque chose lui revint en tête. Son visage retrouva ainsi très vite celui de l'homme courbé sur son comptoir.

- Excusez-moi encore... Mais je voulais savoir... Vous avez lu la dernière Gazette ?

Un tendre sourire animait son visage.

S’apprêtant à reprendre sa lecture, il fut de nouveau interpellé, et, une nouvelle fois, ses lunettes lui en tombèrent. Pris de court, il batailla longtemps pour les remettre sur son nez, pestant se faisant.

- Hum hum, il se racla la gorge, reprenant contenance. Hum, et bien, oui, j’aime me tenir au courant. Pourquoi donc?

Cela remontait à quelques mois mais ses souvenirs et ceux du vieil homme semblaient intacts, parfait. Cela néanmoins ne garantissait pas une réponse de sa part.

- Je me demandais... Puisque vous êtes enchanteur, vous avez peut être entendu parler de cet homme qui prétend détenir une invention qui va révolutionner notre monde !

Elle s'était décçdée à enquêter un peu plus sur cet homme, poser la question à un enchanteur lui semblait être une bonne idée.

Ah, par dernière Gazette, elle voulait dire la dernière d’intérêt. L’homme souffla du nez, amusé par Abigail.

- Ça remonte à longtemps, cette annonce, les gens l’ont vu passé mais peu s’y sont attardés, à part certains qui ont fait le pari. Maintenant, les gens commencent à s’y intéresser, ses narines frétillèrent. Moi, j’ai tout de suite flairé le coup, mais j’ai passé l’âge de faire des investissements.

Il regarda Abigail au dessus de ses lunettes, le visage légèrement penché vers le bas.

- J’ai eu vent d’un professeur à Poudlard qui aurait investi dans ce projet. Il doit en savoir plus que moi. Tout ce que je sais, c’est que ledit inventeur, comme vous dites, vit au Chemin de Traverse.

Monsieur Lo Smith devinait bien, il y avait plusieurs gazettes tous les mois mais tous n'étaient pas intéressantes, sans vouloir manquer de respect à Néarque de Malpas. Elle écouta les paroles de l'enchanteur avec une vive attention, tout cela la passionnait. Elle souhaitait en savoir davantage.  

- Ah oui ? Un professeur à Poudlard serait sur le projet ? C'est que c'était vraiment sérieux pensa Abigail, même ce monsieur plus jeune aurait pu participer Et ce monsieur vit donc au Chemin de Traverse... C'est difficile d'y aller en ce moment...

Une moue embêtée remplaça son sourire, il lui était impossible d'aller sur le Chemin de Traverse dans le contexte actuel. C'était déjà un miracle qu'elle puisse se tenir ici.

- Vous savez qui est le professeur intéressé ?

Peut être lui aurait-il déjà dit s'il le savait.

Le commerçant fit non de la tête.

- Je ne peux que suppos…

Leur conversation fut interrompue par le venue d’un client au comptoir, un homme d’environ quarante ans, la tête surmontée d’un chapeau pointu rose bonbon, tenant sous le bras une sorte de sac noir. Le commerçant pivota, tournant son attention vers le client.

- Bonjour monsieur, que puis-je pour vous?

- Ah, voyez-donc, je vous avais dit que le modèle est défectueux, r’gardez!

Il tendit l’objet au commerçant.

La conversation était décousue, sûrement incompréhensible pour Abigail.

Abigail n’y comprenait pas grand chose, mais la conversation allait peut-être l’éclairer?

Le client tendit le sac au commerçant, qui l’attrapa de sa dextre, réhaussant ses lunettes de la sénestre. Il inspecta alors l’objet pendant quelques secondes durant lesquels ses lèvres pincées produiront un ”hmmmm”. Il releva ensuite les yeux vers le client importuné.

- C’est étrange, je ne vois aucun malfonctionnement, et puis, j’ai déjà regardé ce même ”Sac Avaltout” il y a deux jours…

- Impossible! Rien que ce matin j’ai jeté ma poubelle dedans qu’elle n’a pas été désintégrée!

- Hmm, attendez un instant…

Le vieux commerçant se leva, le dos courbé, s’aidant d’une canne pour aller ouvrir la porte de l’arrière-boutique, la poussière s’en déversant venant agresser les yeux d’Abigail comme de l’homme. Ce dernier toussota, avant de s’adresser à elle.

- Foutue saleté, il peut pas nettoyer??

Elle continua d'écouter la conversation que les deux adultes menaient afin d'y voir un peu plus clair.  Alors l'objet défectueux se prénomait le " Sac Avaltout" ? Elle essayait de deviner sa fonction mais le client lui ôta ce plaisir puisqu'il venait de lâcher de gros indices. Elle se demandait à son tour quelle était la raison de ce disfonctionnement. Elle suivit du regard le vieux monsieur se déplacer ou plutôt traîner sa carcasse fatiguée... Il lui faisait de la peine et les remarques du monsieur et son mécontenement certainement mérité accentuaient ce sentiment. Face à cette inconnu, elle était intimidée alors elle hésitait à répondre... Après s'être frotée les yeux elle répondit finalement.  

- Mon grand père est un peu fatigué, il faut pas trop lui en vouloir vous savez, mamie nous a en plus quitté récemment...

Là encore elle ne savait pas ce qui lui avait pris de répondre de cette manière, le vieux monsieur lui faisait de la peine et elle ne voulait pas que le client soit trop sévère avec lui. C'était un gentil mensonge non ?

Le client tourna son regard vers la serdaigle, l’air désolé.

- A son âge… Mais, je ne savais pas qu’il avait des enfants? Vous comptez reprendre la boutique plus tard?

Avant qu’elle ne puisse répondre, le vieillard revint, à la main un sac du même type. Il fit alors un test avec ce nouveau sac, fonctionnel, et celui du client. L’homme fronça alors ses sourcils, réhaussant ses lunettes et fixant le client.

- Aucun malfonctionnement dû à l’enchantement en lui-même, oui, alors j’ai vérifié quelque chose… Vous n’auriez pas, à tout hasard, un peu abusé de la chose? Les sacs Avaltout mettent du temps à faire leur œuvre, les surcharger ne fait que les casser, c’est pourtant écrit dans la notice…

Le client au chapeau rose souffla, dépité.

- Ça fera combien?

- Revenez le chercher dans deux heures, et ramenez trois mornilles avec vous.

- Seulement trois?!

- J’aime bien votre chapeau.

Le client hocha frénétiquement la tête, et déguerpit avant que l’enchanteur ne change d’avis sur le prix.

Fort heureusement elle n'eut pas besoin de s'enfoncer dans ce mensonge qui n'aurait pas duré longtemps compte tenu des piètres qualités d'improvisation de la Serdaigle. Elle découvrit ainsi le souci du Sac Avaltout du monsieur, il s'était trop précipité. Monsieur Lo Smith était trop bon pensa Abigail, jamais elle n'aurait attribué une ristoune à ce monsieur qui avait osé critiqué son établissement...

- Vous êtes l'inventeur de ce Sac ? Moi aussi je suis une inventrice vous savez ! J'ai plein d'idées révolutionnaires comme le monsieur du journal !

Le vieil enchanteur reporta son attention sur Abigail, l’air amusé.

- Une inventrice? Dites-m’en plus.

Du reste, il ne répondit pas.

La jeune fille, encouragée par le vieux monsieur et désormais bien plus à l'aise qu'à son entrée dans le magasin leva sa poupée pour la mettre sur le comptoir de monsieur Lo Smith.

- Voici Ambroise, c'est moi qui l'ait faite avec mon père ! Mais ce n'est pas tout...

Abigail laissa l'enchanteur apprécier le physique de sa poupée avant de reprendre.

- Je connais l'objet enchanté dont vous avez cruellement besoin !

Le vieillard s’assit derrière le comptoir, un air amusé imprimé sur ses traits, mais il était aussi quelque peu intrigué par cette drôle de jeune fille.

- Hmm, quoi donc?

Hmm... Elle aurait aimé qu'il lui dise qu'elle avait une "Jolie poupée" mais le vieux monsieur avait sans doute oublié... Tant pis !

- Quand j'aurai le niveau d'enchanter, vos lunettes ne quitteront jamais votre nez monsieur !

Elle l'avait bien vu que ses lunettes avaient tendance à s'enfuir de son pif...

Le vieil homme ria franchement, ce qui attira l’attention de quelques clients dans le magasin. Sa tête alla en arrière, et ses lunettes, et bien, finirent sur son menton… L’idée d’Abigail semblait en effet d’une grande pertinence. Un rictus rieur aux lèvres, l’homme remit ses binocles en place.

- Le soucis serait que ça arrache la peau, ne croyez-vous pas? Mais, vous m’avez l’air ambitieuse, ça ne devrait pas être un problème pour vous.

Le commerçant soulevait là un bon point, avoir des lunettes constamment sur le visage pouvait à force l'irriter. Son idée nécessitait quelques corrections, sans mauvais jeu de mots... Voir Monsieur Lo Smith perdre à nouveau ses lunettes l'avait également faite très rire.

- Vous avez raison monsieur Lo Smith. C'est mieux si elles retrouvent seules le chemin de votre nez alors !

L'idée était qu'après sa chute, la paire de lunette regagne naturellement sa position initiale. Il fallait qu'elle développe tout ceci sur papier !

- J’ai hâte de voir le résultat alors.

Le vieil homme se gratta le caillou, faisant une légère moue.

- Quand vous serez un peu plus âgée et un peu plus familière avec les enchantements, je pourrais même vous donner quelques indications le moment venu, au besoin.

Visiblement, le vieil homme semblait apprécier sa compagnie pour des raisons qui lui étaient propres, Abigail ne pouvait que supposer.