Tour d'Astronomie

Sa particularité a donc pour l'instant une limite de portée. Le Poufsouffle se demande si cette dernière est lié à un sens; la vue; ou si elle possède son propre problème de détection.

- Allons-y !

Hors de question de la perdre en chemin. Ils descendent de la tour d'astronomie.

Le bruit qui parasitait sa contemplation se tut après quelques instants. La personne qui venait avait cessé de bouger. La lorgnait elle ? Dans un cas comme dans l'autre, il paraîtrait suspect qu'elle reste "méditative" trop longtemps. Celonia se laissa donc redescendre. Elle sentit ses yeux s'alourdir alors qu'elle regagnait la terre ferme et elle passa machinalement le flanc de son index sur son front alors qu'elle regagnait doucement la vue. Ses cils papillonnèrent quelques instants alors qu'elle cherchait du regard la source du bruit qui l'avait interpellée.

Elle n'eut pas besoin d'attendre longtemps puisque la vision d'un garçon qu'elle avait vu prendre des hauteurs qu'elle n'effleurera jamais lui apparût. Assis en tailleur, le menton apposé sur la paume, il avait manifestement pris ses aises le temps qu'elle ne revienne à elle.

- Oh bonjour Dante.

Dit elle, feignant un étonnement enjoué.

- Désolée, j'étais un peu ailleurs. Comment vas tu ?

Comme un faucon en quête de proie, l'aiglonne consentit à descendre des hauteurs célestes pour rejoindre la terre ferme, où l'attendait un Lion curieux. Celui-ci, sa toison brune échevelée comme les dunes tumultueuses du désert, arborait une posture lasse, empreinte de la majesté d'un prédateur capable du pire comme du meilleur, mais son accueil réservait à Célonia un engouement similaire à celui offert.

- Bon retour parmi nous, Célonia, susurra-t-il d'une voix où se mêlaient douceur et délassement.

L'état dans lequel était transportée Célonia avait cette aura rêveuse qui n'échappait pas à l'œil attentif de Dante. Il appréciait la singularité des âmes qu'il croisait - et plus encore de celles qu'il appréciait - cherchant à en sonder les abîmes, comme s'il était lui-même en quête d'inspiration. La paume de sa main, naguère appuyée contre son menton dans une pose méditative, glissa avec grâce pour s'appuyer sur le sol carrelé, puis ce fut tout son être qui se releva empreint d'une élégance féline. Une main passa à l'arrière de sa cape sorcière, écartant avec délicatesse les pans de la routine quotidienne, avant qu'il ne décide de briser la distance qui les séparait, s'approchant à pas feutrés jusqu'à elle avant de répondre à sa question.

- J'étais d'humeur un peu évasive, d'où la raison de ma présence, articula-t-il d'une sincérité quasi mélancolique, ses yeux scrutant l'horizon lointain comme pour y chercher des réponses.

Une étoile, lointaine sentinelle dans la nuit étoilée, attira un bref instant le regard du Rouge, avant que celui-ci ne revienne se poser sur l'Harpis.

- Et toi, comment te portes-tu ? La manière dont Dante posa la question avait été faites d'une gravité calme, comme s'il cherchait à percer à travers les voiles des apparences pour atteindre la véritable essence de ses pensées. Il voulait entendre parler Célonia avec sincérité, cherchant à déchiffrer les sous-entendus comme les non-dits qu'elle pouvait terrer au plus profond d'elle.

Les cils de la jeune femme frémirent dans un battement saccadé, tandis qu'elle considérait les mots qui lui étaient adressés avec un étonnement plus profond que ne le laissait paraître sa réaction. Ce ton désinvolte, mais toujours empreint de sollicitude, l'avait toujours amusée, tant il trahissait la personnalité espiègle de son camarade lionceau. Un sourire illumina son visage pâle, tel un rayon de lune se fondant dans l'aube dorée du soleil égyptien.

- Si j'avais su que j'étais gardée par monsieur Schtauffen en personne j'aurais prolongé ma rêverie!

Répondit-elle d'une voix aussi espiègle que charmeuse, juste avant que le jeune véloce ne s'approche d'elle. Elle suivit son regard se perdre sur cet astre inaccessible qui semblait avoir instinctivement capté son attention, puis prêta une oreille attentive aux raisons de sa venue.

Son regard jadéite sembla s'affadir alors qu'elle s'imprégnait des tonalités mélancoliques de son interlocuteur. Elle passa une main sous le voile couvrant grossièrement sa chevelure ambrée pour laisser échapper un soupir défraîchi entre ses lèvres.

- Je suis heureuse d'être ici.

Minauda-t-elle à voix feutrée tout en libérant un petit sourire dont l'éclat comblait la modestie.

- Je me souviens de ce que tu me disais au bord du lac, la dernière fois. Tu dois être tout aussi inspiré par ces horizons ! J'espère juste... Que ce voyage ne sera pas que le simple mirage d'une vie plus mélancolique.

Ils avaient quitté leur pays rempli de prédateurs et de dangers, mais leur retour était inéluctable. Connaitront ils d'autres opportunités que celle qu'ils vivaient en ce jour ? Quels choix, quelles décisions devront être prises pour que ce à quoi ils goûtaient ne devienne une possibilité pérenne ? La question la hantait.

Dans un échange de répliques  aussi vif que les vents de la steppe, les mots de l'Harpis résonnaient avec une clarté ciselée, taillés comme les serres de l'aigle. Dante, pareil à un lion des montagnes, savait répondre avec une finesse calculée. Dans ce ballet verbal, il trouvait un plaisir sans pareil, naviguant entre les courants de la conversation sans entrave ni hésitation. Si l'espiègle Dante pouvait parfois dérouter, Celonia se tenait en égale mesure, son esprit agile prêt à riposter à chaque pirouette.

- Nul doute que si cette rêverie avait persisté, j'aurais dû te transporter endormie jusqu'à tes quartiers, et de cela, des explications auraient suivi.

Un léger éclat de rire accompagna ses paroles, comme une cascade de notes dans un silence estival, ponctuant l'échange tandis que d'un geste anodin, il repoussa les mèches qui couvraient son front, dévoilant une lueur malicieuse dans son regard. Lorsque Celonia avoua ses appréhensions pour le voyage à venir, celle-ci s'amenuisa légèrement. Dante réprima une inspiration compréhensive. Il aurait menti s'il avait prétendu ne pas avoir déjà songé à ces mêmes pensées. Après avoir découvert un chapitre inattendu de leur vie, loin des chemins qu'ils avaient jadis parcourus, revenir à une existence plus morne, comme elle l'avait si judicieusement exprimé était d'une augure follement déplaisante.

- Profitons plutôt de l'instant présent, suggéra-t-il, le timbre de sa voix résonnant comme le murmure du vent dans les hautes tours de l'Académie, que de nous préoccuper outre mesure du futur. Parfois, à trop contempler l'horizon, nous oublions de savourer le sol sous nos pieds.

Une philosophie qui, sans doute, ne surprendrait guère Celonia venant du Griffon. Cependant, les doutes qui s'étaient immiscés en lui, jusqu'à la résultante de cette mentalité, pourraient bien prendre de court la bleue.

La perspective évoquait par Dante eut son effet. Elle caqueta comme une colombe moqueuse, ses éclats de rire s'ouvrageant en une ironie douce et agréable. L'esprit, espièglement outrancier du jeune lion avait toujours eu quelque chose de rafraichissant.

- Des précautions chevaleresques et un brin dramatiques, je te retrouve bien.

Commenta-t-elle en laissant son sourire s'éteindre paisiblement lors d'une entracte qu'elle laissa durer quelques secondes.

Elle fit un pas en arrière et se détourna de son camarade pour mieux se consacrer à l’horizon. Elle contempla les étoiles qui s’éveillaient dans le crépuscule, leur lueur paisible et à peine perceptible contrastait avec les démons qui obombraient l'avenir de la délégation britannique. Voilà pourquoi elle aimait tant se projeter proche d'elles.

- On ne voit pas que l'avenir dans l'horizon. Ses doigts effleurèrent machinalement le parapet, comme pour ancrer ses pensées dans la réalité tactile de la pierre froide. Tout dépend de... Comment on le toise.

Elle se retourna vers Dante et lui adressa un regard qui brillait d'enthousiasme, mais aussi d'une certaine malice. Elle semblait chercher à souligner l'ambiguïté de quelque chose.

- Mais je comprends ce que tu veux dire.

Admit elle finalement, d'une voix plus résolue que jusqu'alors.

- Je n'aime pas le pessimisme et je compte bien profiter du voyage sans me soucier du fait que le sol que nous foulons puisse s'effondrer.

L’oisillonne avait pris son envol, songea Dante en contemplant la silhouette délicate de l’Harpis lui tournant le dos, absorbée dans ses profondes méditations, avant de revenir à lui. Sans en être pleinement conscient, il avait lui-même franchi un seuil de maturité. Ses remarques et son intuition s’étaient adoucies, son comportement lui, assagi, sans toutefois perdre ce charme subtil et joueur qui le caractérisait si bien.

- Et si la terre venait à s’ouvrir sous nos pas, il nous suffirait de déployer nos ailes, murmura-t-il d'une voix rêveuse, songeant à l’aspiration, que peut-être un jour, ils puissent posséder pareil prédisposition qu'un Icare ou Hermes.

Après cette réflexion rêveuse, il s'avança avec une nonchalance mesurée jusqu'au parapet, se plaçant aux côtés de Celonia, et fixa l’horizon lointain. Ses yeux, habituellement si expressifs, semblaient à présent voilés d'une mélancolie contemplative, comme s’ils reflétaient les vastes étendues indéfinies devant lui.

- Que distingues-tu, alors, en scrutant cet horizon infini ? demanda-t-il, sa voix teintée d’une curiosité empreinte de sérénité.

Celonia tourna légèrement la tête, juste assez pour capter l'attention de Dante sans se départir de son expression espiègle et apaisée. Effectivement, il suffirait de déployer ses ailes...

Ses yeux verts, frappés par les rayons sépulcraux du crépuscule se nuancèrent dans une lueur diaphane ; se fixèrent un instant sur lui avant de se tourner à nouveau vers l'horizon. Une lueur se forma sur son minois ; la réminiscence d'un souvenir fantasmé.

- L'autre jour, une amie m'a raconté avoir rencontré un petit garçon sur un chameau, ou un dromadaire, elle ne savait guère. L'enfant disait que l'oasis qu'on aperçoit là bas, couvrait autrefois toutes les terres cernant l'académie. Il y avait des sentiers et des chaumières, des arbres et des rivières fraiches ; les gens s'y baignaient et s'y amusaient au rythme des clapotements contre les galets creux. lorsqu'ils sortaient, les brins d'herbe chatouillaient leurs orteils et les fleurs qui s'amoncelaient en des lits douillaient devenaient des havres où s'appesantir sous les chants des oiseaux.

Appuyée contre le parapet, elle laissa une main glisser sur sa propre épaule comme pour apaiser les visions qui auraient pu continuer de filer dans les reflets de son âme contemplative.

- Mais je distingue aussi ce qui pourrait advenir de cet endroit. Du moins j'essaie.

Elle se redressa tranquillement, son masque de bienséance reprenait doucement place et, d'un geste las, elle repoussa une mèche de cheveux rebelle.

- Qu'est ce que tu aimerais voir, toi ?

- Si jeune, et déjà témoin de tant de changements, murmura Dante à Celonia, sa voix s'enroulant autour des mots comme une mélodie douce-amère, tandis qu'elle lui contait le témoignage de son amie vu par un enfant du désert. Cette étincelle de vie, dans un monde condamné à un perpétuel changement, éveillait en lui une flamme ardente, une passion brûlante comme un brasier qui ne demandait qu'à se nourrir des vents du destin. Autrefois, les beautés terrestres étaient aussi pures que l'essence même de la magie. Puis l'homme vint imprimer son empreinte indélébile sur le monde. Cette intervention eut pour cause diverses conséquences, mais elle faisait partie du cycle inéluctable de la vie. Qui étaient-ils, après tout, pour oser juger l'œuvre d'un Dieu ou les actes d'une humanité qui les avait précédés ?

Le flou d'un futur indicible et la profondeur de leurs paroles flottaient dans l'air, imprégnant l'atmosphère d'une teinte de philosophie avant-gardiste. Ils discutaient du futur, de la causalité, du bien et du mal, mais ces réflexions prenaient une tournure résolument intime, car ils se trouvaient à la croisée des chemins de leurs vies. Bientôt, ils devraient faire des choix décisifs, et leur vision du monde, cette mosaïque de pensées et d'expériences, les accompagnerait probablement jusqu'à la fin de leurs jours.

Lorsque l'Harpis s'adressa à Dante pour savoir ce qu'il souhaitait voir de l'horizon défilant sous ses yeux, il prit un instant de réflexion intime. Ses paupières se fermèrent presque, formant un rideau derrière lequel il plongeait dans l'abîme de ses pensées les plus enfouies. Le vent jouait avec ses cheveux, sculptant quelques beautés sur le profil du Lion qui, après avoir rouvert les yeux mi-clos et émergé de cet instant suspendu, répondit d'une voix vibrante de sincérité.

- L'insouciance d'un nourrisson, la naïveté d'un enfant, les joies d'un adulte et l'accomplissement d'un vieillard. Je veux voir la vie drapée de ses plus belles parures, mais aussi parée d'un revers de tristesse, car après tout, ce n'est que dans les difficultés qui s'imposent à nous que le bonheur se révèle vraiment.

Ses paroles résonnaient dans l'air, se mêlant au souffle du vent et à la lumière mourante du jour, comme une promesse faite à l'existence elle-même, une ode à la beauté fragile et éphémère de la vie humaine.