Bureau de Jack Strife

James réajusta sa tenue, du col de sa robe jusqu’au bout de ses gants, puis frappa à la porte du professeur Strife.

« - Hum. »

Un raclement de gorge plus tard, le vert s’était déjà lancé à la conquête de la pièce dorénavant ouverte. James découvrait ainsi les lieux, mais ne fit pas perdre de temps à son professeur avant d’enclencher la discussion.

« - Bonjour monsieur Strife, je suis heureux de vous savoir toujours présent avec nous pour cette nouvelle année. »

Les politesses accomplies, le serpentard enchaîna. Son regard ne quittait pas le vétéran des yeux, même si ce dernier l’intimidait naturellement.

« - Je me demandais si je pouvais vous poser quelques questions concernant les événements de cet été, mais aussi d’autres par rapport aux moldus en général. Je peux repasser plus tard si je vous dérange. »

"Et moi donc" commenta Strife suite à l'introduction de James, non sans une pointe d'ironie dans la voix. Le "professeur" réprima imperceptiblement un soupir à la mention des "évènements" et des moldus avant que sa voix ne résonne dans la pièce quasiment vide.

— Si vous me dérangiez, je n'aurais pas ouvert Ashworth. Rétorqua Strife en fermant la porte d'un geste de baguette et en faisant léviter une chaise claquée dans un coin pour la positionner face à son bureau. J'écouterai vos questions, tant qu'elles ne sont pas posées toutes en même temps.

Il avait entendu parler d'un jeune poufsouffle qui avait cette sale manie, qui avait le don de l'horripiler.

« - Merci. » dit-il sobrement, pour la chaise mais aussi la disponibilité de son professeur.

« - Pour commencer… Hum. Vous nous apprenez ô combien il est idiot de sous-estimer les moldus, n’est-ce pas ? Alors j’aimerais savoir pourquoi le conseil semble le faire. Du moins, c’est ce que la gazette nous retranscrit en disant que tout est sous contrôle… Que se passe-t-il réellement, professeur ? »

Le jeune homme semblait particulièrement soucieux et réellement concerné par le sujet.

L'homme, vieux avant l'âge, se recula dans sa chaise, et ne retint cette fois pas un soupir. Pas un soupir d'agacement, non, celui qui franchissait les lèvres lorsqu'une question appelait à une réponse désagréable.

— Ils ne les sous estiment pas. Les Lucioles, eux, les ont sous estimés, et c'est pour cela qu'ils ont fini dans un état pire que le mien. Le Conseil mesure ses actions car ils savent justement de quoi les moldus sont capables. La réponse à votre question relève de la même explication que votre commentaire sur la Gazette: ce qu'il se passe, c'est que le Conseil tente de protéger sa population tout en évitant une extension du conflit. Chaque attaque donne une raison en plus aux moldus de vouloir notre peau. Dans les faits, nous sommes protégés par des illusions et des sortilèges. Ils tablent sur le fait que les moldus ne nous trouveront jamais, ce qui n'est pas stupide en soit, ils ont peut être un objet capable de prouesses, encore faut il qu'ils sachent où l'utiliser. De ce point de vue, tout est sous contrôle en effet. Il leva les yeux au ciel. En réalité, il est évident qu'ils marchent sur des œufs et qu'ils serrent les fesses en espérant que tout va bien se passer. D'un autre côté, vu le rapport de forces que les Lucioles semblent ignorer, ils n'ont pas tort...

James écouta attentivement son précepteur qui lui donna de précieuses informations, tout en éclaircissant un peu sa vision sur ce sujet bien compliqué pour un adolescent de son âge. Plus il grandissait, plus James s’y intéressait, mais plus il se rendait compte que tout n’était pas aussi simple que ce qu’il imaginait quelques années plus tôt.

« - Je vois… Mais à vous écouter, tout semble perdu. Nous sommes condamnés à nous cacher et à espérer qu’ils ne nous trouvent pas ? À laisser ces porcs chasser nos semblables et… »

Le sorcier aux gants de cuir se coupa un instant, avalant sa salive et détournant le regard une seconde avant de revenir à son professeur.

« - À les brûler vivants… Au moins, les lucioles essayent d’aider la communauté, contrairement au conseil qui préfère arrêter les alcooliques des trois balais. »

Un certain dédain montrait toute la rancoeur qu’avait l’Ashworrh envers le groupuscule censé protéger les sorciers. Ses géniteurs, décédés ou disparus, n’avaient pas reçu la moindre aide extérieure lors du début de l’inquisition.

— L'enfer est pavé de bonnes intentions. A force de bombarder les moldus, qui dit que les Lucioles ne vont pas suffisamment les mettre en colère pour qu'ils ne se contentent plus de nous chasser de leurs villes et villages mais aussi à aller nous chercher dans les nôtres ? C'est parce que leur roi a été assassiné que tout cela a commencé, et c'est parce que les Lucioles ont cherché à déboulonner son successeur que nous sommes dans cette situation. Défendre des places fortes, repousser leurs attaques, affaiblir leurs troupes jusqu'à ce qu'ils se disent que tout cela n'en vaut pas la peine, c'est plus intelligent que de leur sauter à la gorge chez eux, et ainsi leur donner raison lorsqu'ils pensent que nous sommes un danger pour eux.

Il soupira, l'air désabusé.

— M'enfin, c'est sûr que c'est plus facile de montrer les dents face aux piliers de la Tête de Sanglier plutôt qu'aller expliquer aux moldus comment on s'appelle. Et je ne suis pas le moins bien placé pour le dire.

C'était peut être justement parce que son corps parlait pour lui qu'il se permettait de parler un peu plus librement d'ailleurs.

— Enfin, quoi qu'il en soit, ils ont peut être raison d'agir ainsi. Ou peut être qu'ils ont tort, hélas, seul l'avenir nous le dira. C'est toujours facile d'avoir un avis tant qu'on ne porte pas la responsabilité des choix qui sont faits, et je m'inclus là dedans. En réalité, de toute l'Histoire de notre monde, aucun général, qu'il ait gagné ou perdu, n'avait la moindre idée de ce qu'il allait advenir en faisant charger ses hommes vers l'ennemi. Alors si un général n'a pas la moindre idée de ce qu'il fabrique, ce n'est pas un ancien soldat comme moi qui vais pouvoir révolutionner le monde.

Les paroles du vétéran nourrissaient le cadet bien plus qu’il ne pouvait l’imaginer. L’incendie qui brûlait au fond de ses tripes s’alimentait de toute cette réflexion, consumant chaque pensée pour faire grandir ses rêves et son ambition. Plus les obstacles semblaient immenses, plus l’Ashworth avait envie de prouver au monde qu’une solution existait. Peut-être ne viendrait-elle pas de lui directement, mais James, de son jeune âge inconscient, était persuadé qu’il pouvait faire partie de l’équation finale.

« - Ces généraux… Est-ce qu’il existe des livres qui content leurs histoires, leurs choix, leurs échecs, leurs victoires ? J’aimerais apprendre, comprendre comment ces moldus ont régné sur ce monde depuis tout ce temps. Vous vous y connaissez, n’est-ce pas ? Je veux lire, découvrir ce monde que je ne connais pas. Même s’il me répugne, je veux mettre mes mains dedans pour comprendre comment il fonctionne. Conseillez-moi des auteurs, des ouvrages, s’il vous plaît monsieur Strife. »

C’était la raison principale pour laquelle James était venu, et Jack lui avait offert la transition sur un plateau d’argent.

— Il doit en exister oui. Dans les bibliothèques des grands de ce monde. Ce type d'ouvrage est généralement écrit par des proches du général en question ou du roi pour lequel il a officié, ou par des penseurs militaires. J'ignore si ces ouvrages sont publiés dans les librairies moldues. Mais il est certain que vous n'en trouverez pas à Poudlard, ni à Pré au Lard. D'ailleurs, je ne sais pas s'ils serons utiles tant l'Inquisition n'a plus grand chose à voir avec l'armée du roi. Cela dit, comme tout sorcier, ma connaissance des ouvrages moldus est limitée.

Absolument personne parmi les sorciers ne lisait ce type d'ouvrages moldus, ce qui était peut être un tort d'ailleurs.

— Mais si je peux donner une information avec certitude, c'est que les moldus sont très forts pour trouver des moyens de se taper dessus. L'adaptabilité, c'est le cœur de tout: au cours des siècles, ils n'ont cessé de penser à comment aborder les conflits et repenser leur organisation sur le champ de bataille en fonction des victoires et des défaites de chacun. Aujourd'hui, c'est à nous qu'ils s'adaptent. Toute la question réside là dedans: serons nous capables de nous adapter à eux lorsque les trois quarts de la population sorcière pense que ce sont une bande d'incapables, et qu'oser les comparer à nous relève de la traitrise à son sang ?

James grimaça, déçu de ne pas obtenir de réponse précise de la part de son professeur. Il n’était pas conscient de la rareté que pouvait représenter ces ouvrages. Peut-être devait-il recentrer ses recherches sur des choses plus globales, comme les plus grands règnes moldus dans le monde, les différents empires et leur histoire.

« - Ah, parce que c’est vous qui posez les questions maintenant, professeur ? »

James avait osé l’humour, osant taquiner le soldat vétéran qui pourtant ne laissait que peu de place à l’amusement. Ce dernier avait plongé dans cette discussion bien plus profondément que James ne l’espérait en passant la porte de son bureau. Il reprit après sa réthorique.

« - Tout le monde les voit comme des nuisibles, mais la vérité c’est que NOUS sommes leurs nuisibles. On pullule dans leurs villes, on se cache dans leurs auberges… Ça fait bien longtemps qu’ils ont gagné si vous voulez mon avis. Je ne crois pas que leur faire la guerre ou continuer de fuir soit une solution… Mais en trouver une parait tout aussi impossible. C’est pour cela que je voulais en apprendre plus sur eux. Auriez-vous au moins les noms de grands rois ou empires moldus dans l’histoire? Voire d’écrivains et philosophes sorciers, ou même moldus d’ailleurs, qui auraient pu les étudier ? Je veux commencer quelque part, je veux apprendre pour savoir… M’adapter. » conclut-il en reprenant les termes de Strife, convaincu par ces derniers.

Strife écouta toute la tirage de James

— Si je pose la question, Ashworth, c'est parce que je ne suis pas né de la dernière pluie. Je sais très bien que malgré tous les avertissements du monde, vous chercherez à vous frotter à eux un moment ou à un autre, autrement vous ne demanderiez pas de noms de rois ou de stratèges militaires, vous ne vanteriez pas la philosophie des Lucioles. Seulement, celui qui décide de se battre doit répondre à ces questions impossibles, et porter le fardeau de ses choix, y compris celui de voir nos hommes, ou les amis que l'on a entrainé dans cette histoire, déchiquetés par les balles à cause de nos décisions. Les Lucioles ont pensé être plus malines que le Conseil, plus malines que les moldus, ont attaqué ces derniers avec une arrogance folle, et ont au final causé plus de morts sorcières dans cette opération que les moldus n'en auraient faits s'ils avaient raflé un quartier d'une ville. Alors, je vais vous demander quelque chose de très difficile lorsqu'on a 14 ans et ses deux bras: ne pensez pas être plus malin que tout le monde et en particulier plus malin que les Lucioles, Ashworth, parce que ceux qui ont si peu de respect et de prévoyance pour leur propre vie et celle de leurs subordonnés ne méritent pas d'être suivis.

Peut être aurait il mieux fait de garder son trait d'humour pour lui. Ou peut être que finalement, il n'avait fait qu'accélérer l'arrivée d'une leçon qui s'annonçait déjà inéluctable.

Une telle leçon faisait toujours du mal à l’ego du Serpentard, car en effet, James se pensait plus malin que tout le monde. Mais il était important de ne pas se braquer, d’écouter, d’accepter. Il fallait rester à sa place et faire preuve d’humilité, même s’il n’était pas forcément d’accord avec la totalité du discours de son professeur.

L’Ashworth savait qu’une chose le différenciait des adultes : l’espoir. Lui, contrairement au soldat qui lui faisait face, avait toute sa vie devant lui. Ses propres décisions allaient le mener sur un chemin qui se devait d’être le bon.

C’était en apprenant des erreurs des autres qu’il comptait viser juste.

[b]« - Que feriez-vous de toute cette expérience, monsieur, si vous aviez vingt ans aujourd’hui ? Mon seul souhait est d’aider la communauté sorcière, pas de faire la guerre ou de continuer à se terrer comme des rats. Alors je vous le demande par curiosité, quel camp auriez-vous choisi ? »

Le serpentard ne comptait pas enquiquiner Jack plus longtemps, mais cette dernière question lui avait semblé importante pour son propre développement personnel.

La chaise de Strife grinça de nouveau tandis que celui ci faisait rouler sa baguette entre les doigts de son seul bras.

— Quel camp, je ne sais pas, parce que je ne peux pas donner avec certitude les ambitions de chacun, pas sûr qu'eux même le puissent d'ailleurs. Mais pour sûr, j'aurais lutté pour que les sorciers aient leur endroit à eux, dans le secret. Les moldus ne veulent pas de nous, et de toute évidence nous ne voulons pas d'eux non plus. Si nous ne sommes pas capables de cohabiter, le plus simple est encore que nous ne cohabitions pas et que nous vivions séparés. Défendre un territoire donné est plus simple que de défendre une communauté éparpillée aux quatre coins d'un pays hostile. De plus, nous aurions notre propre destin, nos réussites seraient les nôtres, tout autant que nos échecs. Nous aménagerions nos villes comme nous l'entendons, et nous ne serions pas obligés d'attendre que les moldus le fassent pour nous. A force de ne plus voir nos tronches mutuelles, on finirait peut être même par pouvoir s'encadrer. C'est comme un voisin qu'on déteste: le voir tous les jours nous horripile, mais recroise le des années après l'avoir perdu de vue et ce sera une franche poignée de main.

Un sourire se développa au creux des lèvres du jeune homme. Son ambition démesurée ne lui semblait plus si folle depuis qu’un adulte venait de mettre des mots sur ses pensées. Sa vision utopique, celle d’un enfant qui devenait adolescent, venait d’être calquée par un professeur marqué par la dureté de la vie. Ce n’était, à ses yeux, pas un hasard.

« - Et pourquoi n’avez-vous jamais tenté de le faire ? De créer ce monde dans lequel vous aimeriez vivre ? »

Les yeux du jeune homme brillaient d’une intensité caractéristique à son intérêt. Une flamme dansait au fond de sa pupille, n’attendant que la prochaine et ultime réponse du Strife.

— Parce que les soldats ne font pas de politique, et que les grands pontes issus de familles riches bien à l'abri dans de vastes manoirs n'ont jamais eu l'idée ou le courage de faire ca. C'est comme toujours: quand tout va bien, on ne fait rien. Quand rien ne va plus, on se dit qu'on aurait dû agir plus tôt. Et en attendant, ceux qui vont au charbon suivent les ordres, parce que ne pas le faire reviendrait à créer l'anarchie.

Ceci expliquait cela. L’Ashworth n’avait aucune idée de ce que représentait la politique et encore moins des difficultés que pouvait représenter un tel projet, mais c’était peut-être cela qui l’aidait à préserver sa motivation sans faille.

« - Merci pour vos réponses monsieur. Merci beaucoup. »

James se leva de la chaise et se tenait prêt à partir lorsqu’il reprit la parole.

« - Laissez-moi dix ans monsieur Strife. Je vous nommerai général de l’armée du pays qu’on aura bâti pour nos confrères. »

Ces paroles étaient plus humoristiques que sérieuses, mais il fallait être idiot pour ne pas voir la pointe de vérité dans les paroles du serpentard. Son rêve était de plus en plus net, et son ambition de plus en plus vorace. Si certains de ses camarades ne savaient pas encore quoi faire de leur vie, James, lui, ne s’était jamais posé la question depuis la disparition de ses parents.

Jack Strife ne releva pas, mais se redressa tandis que James partait.

— Ashworth. J'aurais à mon tour une question à vous poser, avant que vous ne partiez: les souvenirs de l'homme de Pré au Lard, les avez vous vus ?

« - Non, je n’étais pas présent ce soir-là. » rétorqua-y-il simplement, curieux de savoir si son professeur avait autre chose à ajouter avant son départ.

Strife sembla pensif un court instant.

— Entendu. Bonne journée, Ashworth.

Il se saisit de sa baguette et ouvrit la porte. Le vert sera libre de vaquer à ses occupations

Alors que James s’apprêtait à sortir et saluer son professeur en retour, il ne put s’empêcher de revenir sur cette étrange dernière question.

« - Cela change-t-il quoi que ce soit ? »

— Rien qui concerne tout ce que j'ai pu dire. Je recherche simplement des témoignages.

« - J’ai reçu les témoignages de plusieurs camarades, je peux peut-être vous aider ? Je ne suis pas certain qu’eux soient en mesure de le faire. »

Les quelques discussions qu’il avait eu avec les réfugiés de Pre-au-Lard suite aux événements de l’été avaient été plus que compliquées. Il n’imaginait pas, par exemple, Abigail capable de témoigner devant son professeur.

— Mmh, ce ne sera pas utile. Quelqu'un ayant vu la scène aurait peiné à me répondre. Sur des propos rapportés, ce sera impossible.