Sur un vieux port

L'oisillonne frotta doucement les paumes de ses mitaines l'une contre l'autre, éparpillant quelques particules enneigées dans leur sillage avant de les observer s'échouer lentement. Pour une raison qu'elle n'assumait pas, son regard ne pouvait croiser celui du blaireau.

- Elle n'aime pas sa maison et les autres maisons ne l'aiment pas à cause de sa maison... Elle laissa échapper un long soupir qui relevait plus de l'agacement que de l'empathie sincère. De quoi témoigner d'à quel point l'Harpis abhorrait les problèmes insolubles. Il y a des situations qui ne sont pas faciles...

Elle écouta ensuite la rocambolesque description de la peine dont il avait écopé. En d'autres circonstances, elle aurait ri de bon coeur à cette frasque, mais le ton comme l'esprit n'y étaient pas et elle se contenta d'un pouffement étouffé entre les plis de son écharpe.

- Oh d'ailleurs, puisqu'on parle des poufsouffles est-ce que... Elle s'interrompit un instant ; Il était rare que la jeune fille habituellement sociale et plutôt éloquente ne cherche autant ses mots. Tu aurais des nouvelles de Reiner Braun ?

Une bien curieuse question, mais le regard de Celonia s'emplit un instant d'une curiosité saupoudré d'espoir. Manifestement, elle espérait sincèrement une réponse.

S'étaient elles vraiment "trouvées" ? En réalité, l'estime que Celonia vouait à Alicia était assez limitée pour l'instant. Elle n'était pas la plus intéressante des filles et sa seule volonté demeurait dans la haine viscérale qu'elle vouait à sa propre maison. Ironiquement, la jeune Harpis faisait au mieux pour l'orienter vers de nouvelles passions, mais ça n'était pas chose aisée.

- C'est vrai qu'elle est un peu belliqueuse... Elle n'est pas la seule, d'ailleurs. Entre les agressions, les punaises et les golems, je trouve qu'il y a un drôle de climat autour de Poudlard, cette année.

Somme toute, c'était une platitude, mais peut être cherchait elle à orienter la conversation vers un autre sujet ?

Elle hocha doucement la tête lorsque le blaireau lui avoua ne plus être en contact avec les gens de sa maison. Elle se doutait de la réponse, mais ne regrettait pas d'avoir essayé. Pour le reste, Jude ne semblait pas vraiment enclin à creuser la conversation plus que nécessaire. L'égoïste nonchalance de la Harpis était éprouvée par le spleen de son camarade.

- Je lui ai déjà demandé, mais merci.

Elle abaissa son regard pour observer ses pieds qui raclaient doucement la neige avant de pousser un petit soupir. C'était tout, semblait il.

Les réponses de Jude étaient aussi plates qu'expéditives. Elle avait l'impression qu'il se forçait à lui répondre par pure politesse et le voir s'en retourner à son recueil de poèmes ne fit que le confirmer.

- Mon Reiner ?

Elle hocha un sourcil interloqué. C'était une bien drôle façon de parler.

- C'est juste que ...

Elle hésita un instant. Cela valait il vraiment la peine d'en parler ? Non, pas vraiment. Jude n'était plus l'enfant qu'il était au cours de sa première année. Ou peut être que si ? Peut être était-ce sa vision des choses qui avait changé ? Elle ne saurait le dire, pas plus qu'elle ne pourrait présager de ce que le jaune allait devenir ni même ce qui causait ses "transformations", mais, dans tous les cas, elle ne ressentait pas le désir de s'affilier à cette évolution.

- Hum, aucune importance... Tu as raison, Eleanor me donnera sans doute des nouvelles... Elle jeta un regard vers le château et fit mine d'y percevoir quelque chose.

- Il faut que je retourne au château... A plus tard.

Elle n'avait pas vraiment plus à dire et s'éloignera donc, à moins d'être interpellée.

L'oisillonne commençait déjà à virevolter vers un autre horizon lorsque Jude cita son aînée. Les paroles colportées raisonnèrent dans son esprit avec un écho tout particulier ; Effectivement, c'était du Abigail tout craché. Interloquée, elle se retourna vers son camarade avant de poser son index contre la pointe de son nez, un toc que Jude avait déjà pu observer.

- J'en pense que c'est une phrase qui lui correspond bien.

Quelle était sa propre opinion à ce sujet ? Celonia n'était ni aussi idéaliste, ni aussi bienveillante dans ses approches de la vie que son aînée. Comme pour bien d'autres choses, elle ne s'offusquerait pas d'une cachoterie qui ne lui nuirait pas directement. C'était pour cette raison qu'elle n'avait même pas tenu rigueur à cette même Abigail d'avoir caché sa guérison.

Elle poussa un bref soupir, consciente qu'une telle réponse ne suffirait pas.

- Si quelqu'un me cachait avoir accidentellement cassé un de mes encriers ou avoir fait une grosse bêtise dans sa salle commune, je ne lui en voudrais pas. On a tous des raisons d'avoir des secrets. Par contre, s'il me mentait dans le but de me manipuler ou de me nuire, là ça me fâcherait, effectivement.

Elle hocha mollement les épaules, comme pour indiquer que, pour elle, c'était l'évidence même.

- Toi, par exemple, si tu m'avais caché ta bêtise à la bibliothèque, je m'en serais fichue totalement. J'aurais pensé que ça t'embête d'en parler, pour une raison ou une autre, et voilà.

La jeune Harpis écouta patiemment la pertinente petite métaphore de Jude. Il faut croire que Celonia ne ressentait pas souvent ces petits galets dans ses bottes, ou alors elle était juste trop "libre" pour s'encombrer de considérations qu'elle n'avait aucune raison objective de juger. Toujours est il qu'en dépit de tout, elle sembla assez contente que Jude développe un peu plus le fond de sa pensée.

- Je n'attends rien de personne...

Commenta-t-elle mollement en hochant les épaules. Elle ne savait pas vraiment quoi répondre à la question qui lui était posée.

- J'apprécie les personnes intéressantes et enrichissantes et j'essaie de le leur rendre en l'étant aussi. Tu l'étais, c'est comme ça que nous avons sympathisés, au début.

Elle poussa un long soupir.

- Si je devais attendre quelque chose des gens, ce serait de ne pas cesser de l'être.

Les mots du poufsouffle, qu'il l'ait voulu ou non, furent un choc pour la jeune fille qui pensait que celui qu'elle avait en face d'elle pouvait encore être considéré comme un ami, simplement un peu boudeur. Pour elle, sa dernière prise de parole était une main tendue, mais peut être s'était elle mal exprimée, ou peut être que Jude se cherchait surtout une raison. L'expression était dite, la violence des mots était cinglante, la minuscule page qu'elle allait représenter dans la vie de ce blaireau avait été tournée, elle ne sera plus qu'une anecdote dans quelques années et une mémoire occultée d'ici qu'ils soient diplômés ! Cela lui apprendra. Elle savait qu'il était trop proche de sa maison de dégénérés, elle pensait qu'il était différent, comme l'était Eleanor, mais ça n'était pas le cas.

Jude semblait reprocher à Celonia d'être trop fidèle à elle même parce que lui changeait pour des raisons qu'elle ne cernait pas. Qu'attendait il ? Il avait posé la question, mais lui même ne donnait pas de réponse.

- Une page, vraiment ? On la tourne, on l'oublie et on la jette, c'est ça ? Et en plus tu me remercies ?!

Dit elle sur un ton amer et acerbe, beaucoup plus expressif qu'à l'accoutumé. Il avait été son premier cavalier, il l'avait invitée au bal très tôt dans l'année, il avait même pris la peine de formuler son invitation en un petit jeu et tout ça pour tourner la page, quelques mois plus tard ? Somme toute, c'était une querelle enfantine, certainement que des adultes se seraient contentés de lever les yeux au ciel, puis de repartir sur de nouvelles bases le lendemain. Toutefois, pour la jeune fille, c'était le coup de trop.

- Je suis déçue... Pas par toi, par moi...

La voix tremblante, éprouvée par l'émotion, elle ne développa pas plus son propos. Elle devait réfléchir à comment encaisser une telle nouvelle et, surtout, agir en conséquence. Elle n'adressa ni révérence, ni même un regard à Jude et se contenta de partir. Elle ne lui adressera plus la parole et ne le laissera plus l'approcher en cours à compter de ce jour.

Sa seule envie, en cet instant, était de partir loin, très loin de Jude. De remonter dans la tour des aiglons pour se conforter de la distance avec les blaireaux terrés dans leur trou. Elle aspirait à s'éloigner, mais il l'avait alpaguée comme une étoile captive, happée par l'attraction magnétique d'un univers où les destins s'entrelacent inéluctablement. Elle ne put s'empêcher de l'écouter, les mots s'entrechoquant en elle comme des épées dans une lutte intérieure, sa résolution vacillant sous l'assaut des pensées contradictoires, une bataille tumultueuse entre le désir de fuir et la curiosité qui la retenait prisonnière de son propre dilemme.

Se dérobant à l'emprise des pensées contradictoires, la jeune fille tourna lentement son regard vers son interlocuteur, observant sa main tendue. L'atmosphère pesante semblait palpable, pour elle tout du moins ; une tension électrique flottant dans l'air glacé du parc de Poudlard. Les yeux verts de la fille, empreints d'une intensité troublée, croisèrent le regard de Jude. La neige qui continuait de tomber semblait suspendue dans le temps, créant une toile cristalline autour d'eux.
Un silence pesant régna avant que la Harpis, brisant la glace invisible, demande d'une voix hésitante

- "Le veux tu vraiment, Jude ? Ou est-ce que tu as juste pitié ?"

Il ne fallait pas qu'elle laisse ses émotions la submerger. Cela ne serait pas digne d'elle et ne lui permettrait pas d'obtenir une réponse objective. Elle ferma les yeux un petit instant et laissa le silence régner avant de revenir vers Jude. Son regard, autrefois empreint de trouble, se durcit légèrement, dissimulant toute trace de vulnérabilité. Les épaules droites, elle replaça une mèche de cheveux ambrés derrière son oreille d'un geste assuré, marquant ainsi son retour à sa maîtrise de soi.

- " Je maintiens... Je n'attends rien de personne. Il y a des gens que j'aime, d'autres que je n'aime pas. Je les aime pour leur bonne compagnie ou parce qu'ils m'inspirent et je ne les aime pas parce qu'ils me peinent, m'inquiètent ou me dégoûtent. Ce ne sera jamais plus compliqué pour moi. Maintenant, à toi de voir ce que tu attends vraiment des autres.

Elle pivota doucement et soupira une nouvelle fois en observant sa propre buée se distordre dans l'atmosphère. Elle voua un dernier regard oblique au blaireau puis se retira, cette fois pour de bon>.