Le parc

D’un geste de la main, l’Ashworth se libéra d’un groupe de serpentard avec lequel il discutait depuis un moment. Il venait de repérer une silhouette azur du coin de l’œil, et cela s’avérait bien plus intéressant que les quelques lèche-bottes qui lui ciraient les chaussures à longueur de journée pour espérer obtenir une place dans son cercle d’amis très sélect.

Ses pas l’amenèrent jusqu’au dos de la jeune fille, puis sa voix fendit l’air d’un ton sarcastique.

« - Ça fait plusieurs jours que j’attends de te voir passer la porte du club de Divination… Mais peut-être que je me suis trompé et que mon invitation ne t’intéressait pas tant que ça… »

Ses pupilles de charbon, joueuses, se révélèrent à son interlocutrice lorsque son tour du banc fut terminé. Face à elle, il attendit une invitation avant de s’assoir à ses côtés. Ses mains vinrent se joindre pour refixer ses gants l’un après l’autre.

La magie de l'esprit s'avérait beaucoup plus difficile à appréhender que tout ce qu'avait pu étudier l'oisillonne jusqu'alors. Cela aurait de quoi en rebuter certains, c'était comme attaquer un mur avec la plus petite des truelles, mais Celonia se trouva confortée dans son idée qu'une telle matière représenterait un défi à sa hauteur. Douée de capacités d'occultation déjà assez poussée, elle ne faisait plus vraiment attention à son environnement et ne vit certainement pas James qui arriva dans son dos.

Sursautant légèrement et amortie par la lecture dans laquelle elle était plongée, il lui fallut quelques instants pour restaurer le puzzle. Toutefois, la vue de James lui arracha aussitôt un sourire sincère.

- "Je préférais te voir dehors avant d'y aller pour m'assurer que ça tenait toujours!" Répondit elle, heureuse que James soit venu à elle sans même qu'elle n'eut besoin d'approcher de la table Serpentard. Elle s'entendait, globalement, bien avec cette maison, mais il y avait certains garçons qui l'appréciaient peut être un peu trop et, comme elle n'avait pas étudié auprès d'Irène depuis longtemps, elle n'était pas certaine de savoir quoi faire. "Comment ça va, tu as passé un bon été ?"

Continua-t-elle en fermant son livre puis en se poussant pour libérer de l'espace sur le banc, lançant ainsi une invitation tacite à son interlocuteur.

Celonia venait de s’en sortir à l’aide d’une belle pirouette. Était-elle sincère ou pas dans ses propos ? Cela importait peu James, qui affichait un sourire tout aussi sincère que celui de sa camarade.

« - Plutôt, oui. J’ai eu la chance de découvrir la Serbie en allant chez un ami. Alija, je crois que tu l’as déjà croisé ? Je sais plus. »

Ce n’était pas bien important, puisque la serdaigle allait forcément être amené à le côtoyer si elle se rapprochait de l’Ashworth.

« - Et toi, c’était comment ces premières vacances ? »

En réalité, Celonia surtout pas eu le temps, la rentrée venait à peine de se produire, mais elle se doutait que James avait surtout posé la question pour la taquiner, ou peut être pour tester son sang-froid? Qui sait...

- La Serbie ? Cette nouvelle sembla la stupéfaire, elle qui se morfondait dans la difficulté à dégager une horizon pour l'avenir, venait d'apprendre que son camarade était allé jusqu'en Serbie comme si de rien était. C'était rafraichissant, même si elle ne pouvait s'empêcher de l'envier un peu. C'est une sacrée chance que vous avez eu! Oui, je connais Alija, il...

Elle se racla la gorge, quelque peu embarassée.

- M'avait invitée au bal l'année dernière, mais j'étais déjà prise et puis il me faisait un peu peur. Il lui faisait toujours un peu peur, d'ailleurs. Toutefois, une telle initiative de son aîné Serpentard ne surprendra sans doute pas James. Quant à mes vacances, elles étaient calmes, c'est déjà ça je suppose !

La réthorique de Celonia amplifia le sourire du jeune homme, qui, moqueur, ne put s’empêcher de rire suite aux remarques sur son frère Alija. Les deux serpentards, indissociables, n’arrêtaient jamais de se vanner et la jeune serdaigle venait d’offrir de belles munitions à son interlocuteur. Mais en effet, ce dernier n’était pas surpris. Ni par l’invitation au bal, ni par l’intimidation provoqué par son meilleur ami.

« - Calmes ?! Tu étais à pré-au-lard ? Parce qu’en seulement deux semaines, j’ai cru devenir fou. J’avais jamais vu une telle agitation… Sûrement dû aux événements relayés dans la gazette. » ajouta-t-il comme s’il partait du principe que sa camarade n’avait pas assisté à ce malheureux spectacle.

Comme la jeune serdaigle le craignait, le triste spectacle donné à Pré-Au-Lard le soir de la fête était encore dans tous les esprits. Pour sa part, elle l'avait rangé dans un coin de sa tête le temps des vacances, préférant ne pas égratigner son insouciance d'évènements pour lesquels elle ne pouvait, de toute façon, rien. Malheureusement, le retour à Poudlard impliquait aussi un retour à la réalité.

- J'y étais ce soir là, j'accompagnais mon père qui était d'affaires là bas. Elle hocha les épaules, mauvais endroit, mauvais moment, un classique. C'est vrai qu'il y a vraiment eu un avant et un après, j'étais bien contente de ne pas rester là-bas à me morfondre tout l'été.

Celonia habitait loin d'ici, au Nord de l'Angleterre, et elle était on ne peut plus contente de ne pas avoir pataugé dans le désespoir ambiant plus que nécessaire.

« - Ah, tu as la chance de ne pas loger à Pré-au-Lard du coup ? »

James se souvenait vaguement d’une histoire de famille de tailleurs, mais les discussions remontaient à longtemps et il avait besoin de rafraîchir son esprit. Visiblement, les drames de Pre-au-Lard avaient déjà été mis de côté par le jeune homme qui s’intéressait plutôt à la jeune serdaigle.

Elle hocha sobrement la tête. Elle était heureuse de ne pas avoir à donner son avis sur les évènements de Pré-Au-Lard car elle jugeait celui-ci sans grande importance. Par ailleurs, elle s'était promis d'être plus positive et broyer du noir n'était pas le meilleur moyen d'action.

- Non! Répondit elle en secouant la tête. Nous avions de la famille dans le Nord de l'Angleterre. Lorsque les choses ont commencé à mal tourner un peu partout, nous sommes partis là-bas, ça a été un sacré voyage ! Toutefois, mon père doit se réapprovisionner en tissu et il lui arrive de rencontrer quelques clients à Pré-Au-Lard, ou ailleurs. Ma mère est trop fatiguée pour l'accompagner et mon cousin, qui l'accompagne habituellement, a lui même des choses à faire alors quand je suis là, c'est moi qui m'y colle, même si nous n'avons plus voyagé nul part depuis le fameux soir.

C'était une nouvelle source de contrariété pour l'oisillonne qui n'aspirait qu'à la liberté, mais elle la comprenait bien. A la place de son père, elle non plus ne risquerait pas la vie de sa fille pour le plaisir d'avoir un peu de compagnie pendant les voyages.

« - Hm, je vois. C’est compliqué pour tout le monde ces derniers temps. Mais tu sembles avoir une bien belle famille. »

Bien plus belle que celle de l’Ashworth, en tout cas, qui se résumait à son tuteur.

« - J’espère que ta première année à Poudlard les a rendus fiers. Tu es la première de ta lignée à venir ici ? »

L’académie magique n’avait aucun équivalent, le prestige et la réputation de l’école faisaient rêver tout sorcier. À cette époque, tous n’avaient pas la chance de suivre une formation magique aussi qualitative.

Elle hocha la tête. C'était plutôt vrai et elle en était consciente. Celonia avait une famille, une famille qui subvenait à ses besoins qui plus est. Ce n'était pas donné à tout le monde, c'était le moins qu'on puisse dire et elle savait la chance qu'elle avait. Pour rien au monde elle ne la renierait.

- Ils sont plutôt contents, oui. Ils attendent un minimum de résultats, c'est certain, mais je n'ai pas autant de pression que certains sang-pur. Pour ma part... Elle se laissa aller à un petit sourire. La pression je me la mets toute seule ! Il faut un peu d'ambition dans la vie, mais ce n'est pas à un Serpentard que je vais l'apprendre. Continua-t-elle, amusée avant de reprendre :

- Non, mes parents étaient déjà scolarisés à Poudlard et, pour peu que je le sache, mes grands-parents paternels aussi, je ne sais pas pour ceux de ma mère. Elle ne les avait pas connus et n'avait jamais pensé à poser la question.

- Et toi, tu as de la famille qui a étudié ici ?

Que d’informations qui venaient ravir le jeune Ashworth. S’il estimait déjà la serdaigle, cette dernière venait de gravir les échelons à vitesse grand V. Ses yeux de jais, qui pétillaient jusque-là, s’estompèrent légèrement à la question de sa camarade. James détourna le regard et le déposa au loin, tandis que ses mains de cuir se joignirent sur ses genoux.

« - Oui, mes parents se sont rencontrés ici. Ma mère était à Serpentard elle aussi. C’est… C’était, une sorcière extrêmement douée, la meilleure de sa génération, sans aucun doute possible. »

Était-il objectif ? Celonia ne pouvait pas le savoir, mais il semblait extrêmement fier d’être son fils.

« - Alors… J’essaye simplement de faire honneur à son sang, mon sang. »

James revint à sa cadette, un air devenu mélancolique ornait son visage. Le silence pesa quelques secondes sur la conversation avant qu’il ne reprenne.

« - Et j’ai l’impression que tu partages aussi ces valeurs. Je suis content de découvrir que je n’ai pas proposé mon aide à n’importe qui… Je te le reconfirme donc, je suis bel et bien là si tu as besoin, et je t’invite à passer au club quand tu veux. Les autres membres seront aussi là pour t’accueillir, je leur ai déjà parlé de toi. »

Un fin sourire décorait les lèvres du serpentard, conscient que la jeune Harpis ne s’attendait sûrement pas à cela.

Le sujet familial pouvait s'avérer troublant en ces temps agités. Encore une fois, gâtée et consciente de sa chance, Celonia était particulièrement attentive aux histoires des autres. Les mots de l'Ashworth étaient sans équivoque, il vouait une admiration sans faille à sa mère et l'oisillonne se doutait que de tels mots devaient se baser sur une histoire et une relation forte.

- Je pense que tu y parviens bien pour l'instant.

Il n'y avait pas beaucoup plus à dire, outre le fait qu'aux yeux de Celonia, James était très certainement le garçon le plus brillant de sa promotion ce qui n'était, à ses yeux, pas rien.

- Je pense que c'est important d'avoir un moteur ; Quelque chose auquel s'accrocher. C'était peut être un peu vaniteux de penser ici. Toutefois, Celonia aimait s'imaginer au dessus de la masse. Les petites gens de Pré-Au-Lard qui n'avaient fait que se morfondre tout l'été, elle ne les avait pas jugés avec mépris, mais avec un désintérêt désinvolte. Ils ne souhaitaient pas être maîtres de leur destin et s'accrochaient à l'espoir que pouvait leur prodiguer les pages d'un journal. Elle s'était jurée de ne jamais être comme ça. Le silence pesant imposé par le ton qu'avait pris la conversation s'atténua et la bouille de la serdaigle se retrouva tout aussi souriante. "J'y passerai dès que possible dans ce cas ! J'ai hâte de rencontrer les autres!" En réalité, Celonia les connaissait très certainement déjà, mais elle n'était pas avisée du cercle d'amitié de son aîné.

Un signe de tête avait humblement remercié la serdaigle pour sa remarque. Souvent à la limite de l’arrogance, James pensait lui aussi être digne de sa mère, mais cela était toujours plus puissant lorsque ce genre de compliment venait d’autrui.

« - Dans ce cas, nous aurons l’occasion de discuter bientôt, et dans un endroit plus confortable qu’ici. Avec une meilleure vue, aussi. » dit-il d’un air fier de lui, plus qu’heureux du club que lui avait fourni son professeur de Divination après quelques négociations compliquées.

James frappa ses cuisses puis se leva, retrouvant un dynamisme perdu le temps de la discussion.

« - Je te laisse à ta lecture, à bientôt Celonia. »

Un fin sourire accompagnait ses dernières paroles, pendant que ses yeux de jais toisaient la demoiselle. Il voyait en elle une candidate idéale depuis longtemps, et cette discussion l’avait définitivement convaincu que son choix était le bon.

L’Ashworth s’en alla après un dernier signe de main, rejoignant le groupe de Serpentards qui l’attendait au loin.

-"J'ai hâte de le voir!"

Alors c'était entendu. Elle s'y rendra, cella allait de soi. Les deux s'entendaient bien, mais il semblait également y avoir une certaine proximité quant à la manière dont chacun devait arpenter la vie, ce qui n'était pas si courant. D'ailleurs, ce club dont parlait James semblait faire sa fierté, raison de plus pour le voir car James n'avait pas l'air d'être du genre à se contenter de peu, ce qui était son cas aussi.

-" A bientôt James, merci encore !"

Dit elle avec son discret enthousiasme tout en lui rendant son sourire. Elle le laissa s'éloigner pour rejoindre ses camarades de maison et reprit sa lecture pendant plusieurs minutes avant de s'éclipser à son tour.

James l’avait suivi depuis leur dernier cours commun. Il ne s’en était d’ailleurs pas caché, ce n’était pas une filature mais juste une envie de parler au Poufsouffle bien pressé de rejoindre l’extérieur du château. Et puis, l’Ashworth préférait attendre un coin tranquille pour venir parler à son… Grand ami.

« - Salut Johannes, tu… Es occupé ? »

Le regard du vert voulait tout dire : il ne comprenait pas vraiment ce que faisait son camarade.

« - C’était un oui pour "Oui je suis occupé" ou un oui pour "Oui c’est moi" ? fit-il alors que ses pas le rapprochaient du jaune.

Le serpentard, une fois à son niveau, s’abaissa en s’accroupissant à son tour, lui délivrant son plus beau sourire. C’était malheureusement pour lui James Ashworth, pour le meilleur comme pour le pire.

Peut-être par placebo ou mimétisme, James toussa aussi. Personne n’était épargné par ce foutu virus au château. Mais James faisait partie de ceux qui préféraient ne pas en parler, par peur de finir cracmol.

« - Je… Je voulais savoir… Le business c’est le business avec toi, pas vrai ? »

James soupira, s’il allait jusqu’au bout… Il connaissait les risques qu’il encourait. Le serpentard ne savait pas s’il pouvait vraiment faire confiance au Poufsouffle, en l’état.

« - Un deal entre toi et moi, qui nous mettrait chacun en danger seulement si l’un de nous deux trahit l’autre et en parle. Et il n’y a pas d’entourloupes hein, pas de délit, pas de risque. Qu’en dis-tu ? Est-ce que je peux te faire confiance ? »