L’infirmerie

Le regard de la Flamme ne quitta plus celui de l’Enchanteresse. S’il soutiendrait Alija coûte que coûte, il souhaitait aussi faire comprendre à la Wright que les circonstances pouvaient expliquer ses actes. Elle n’avait pas traversé ce qu’ils avaient subi.

« - Je ne veux pas le défendre à sa place, Abi… Ni l’accuser sans en savoir davantage, d’ailleurs. Mais il a pu souhaiter vérifier son état, s’assurer qu’il était hors d’état de nuire, tout en ayant un moyen de se défendre si jamais il ripostait... Qui pouvait savoir s’il ne cachait pas encore des centaines de bestioles capables d’attaquer dans ses manches ? Ou même une autre baguette dans une de ses poches ? »

James ferma les yeux puis soupira, avant de retrouver la serdaigle à l’aide de ses yeux embrasés.

« - Peut-être même que Shane a tenté quelque chose… Ou peut-être qu’Alija a en effet laissé… Sortir sa rage… Je n’en sais rien et je ne peux pas nier le fait qu’il ait pu le faire, mais… »

Les flammes dévoraient son iris et dansaient au son de ses mots. On pouvait sentir toute l’émotion liée à la funeste soirée dans son regard.

« - Sache que si moi j’en avais eu l’occasion, après ce qu’il nous a fait… »

James n’osait même pas imaginer l’état dans lequel il aurait été si le Serbe avait été la victime de ses propres blessures.

« - Je ne l’aurai pas laissé s’en tirer. Nous parlons d’un homme qui souhaitait nous tuer. D’un homme qui allait arracher une fille à sa mère. Qui sait ce qu’il te réservait ensuite… »

La mâchoire serrée et le regard perdu de James trahissaient sa haine, mais tout le reste était étrangement calme, serein. Ce déchet de la communauté sorcière avait mérité sa peine. Il n’était qu’un parasite qui jouait contre son camp, à une époque et dans un contexte qui ne pouvaient lui permettre d’exister plus longtemps. Shane était le seul responsable de sa propre perte.

Quelques secondes de silence permirent à l’Ashworth de réaliser qu’il s’était laissé emporter par son propre discours, décuplant la simple remarque d’Abigail en anticipant ses probables réflexions. Il détourna le regard de la bleue et vint observer ses gants qu’il prit le soin de redresser.

Abigail demeura silencieuse le temps que James ne prenne la défense de leur fidèle camarade. Sa réaction ne l'étonna guère, James était fidèle à lui même et se hisserait contre vents et marées pour défendre ses amis. Peut être devait-elle réagir comme lui, laisser le bénéfice du doute au serbe, mais Abi avait l'impression de se mentir à elle même... L'on ne se dirigeait pas proche d'un sorcier vaincu avec un couteau tranchant lorsque l'on possédait une baguette qui permettait de répondre à n'importe quel danger. Dante ne s'était pas énervé après le Crepitus renvoyé mais bien plus tard... Elle aimerait faire l'aveugle mais cela la gênait. Comme James avait pu lui dire il y a quelques jours, il pouvait tout lui dire.

Toutefois, aucune parole ne vint directement. La jeune fille ne savait pas comment exprimer ses pensées ni comment réagir, elle était perdue. Si elle souhatait partager ses maux, elle devait accepter de perdre son sang froid, de laisser une nouvelle fois ses émotions l'envahir.  Mais depuis qu'elle côtoyait Alija et James, elle avait ce désir de devenir plus forte et de ne pas dévoiler ses faiblesses... Mais c'était actuellement impossible. A mesure que James parlait, il devint difficile pour Abigail de soutenir le regard du Serpentard. Les flammes de James l'atteignirent comme toujours, mais cette fois elles ne la réchauffèrent pas comme elles en avaient l'habitude, elles la brulèrent...

Abigail bouillonnait mais cette maigre colère se transforma rapidement en tristesse. Le regard d'Abi se mit à observer le plafond avant que son visage ne se baisse, tâchant de ses larmes, la literie du lit d'infirmerie. Les mains d'Abi se cramponnaient au drap blanc.  

-  James... Je ne veux pas ça !

Le ton de sa voix restait mesuré de sorte à ne pas être écouté mais celle ci gagnait en puissance. Puisqu'elle avait commencé, il lui était difficile désormais d'empêcher son coeur de parler.

- Je ne veux pas vous perdre et je ne veux pas me perdre.. Tout ça ! Ce n'est pas moi !

Tout ça quoi ?

- La violence, la vengeance... Ce n'est pas moi et pourtant j'ai accepté ce soir là que Shane meurt, je n'ai rien fait pour empêcher Alija de s'approcher de lui... Nous souhaitons faire le bien, pas le mal. Tu trouves que nous prenons la bonne direction ?

Son regard avait quitté le lit pour retrouver celui de James. Ses larmes glissaient silencieusement sur ses joues, la jeune fille était en détresse.  

En relevant les yeux, Abigail put deviner de l’incompréhension dans les prunelles habituellement si sûres de son interlocuteur. James se demanda un instant ce qu’il avait pu faire de mal, quelle était la raison qui poussait son interlocutrice à se mettre dans un tel état. Elle semblait avoir peur… Mais pas de celui qui l’avait enlevée, pas de celui qui avait failli tuer ses amis.

Que remettait-elle en cause, exactement ? Pourquoi menaçait-elle leur amitié ? Jamais l’idée de « se perdre » n’avait traversé l’esprit du garçon, encore moins après une telle épreuve, qui, de son côté, devait sceller leur relation pour l’éternité comme le sang pouvait le faire entre un frère et une sœur. L’adolescent était profondément déstabilisé.

« - Mais qu’est-ce que tu racontes ? »

L’animal blessé, alité au lit d’hôpital depuis d’innombrables journées, paraissait affreusement vulnérable. Sa flamme vacillait. La Wright s’attaquait à quelque chose de trop important, peut-être s’en rendrait-elle compte.

« - Je ne sais même pas quoi te dire... »

James prenait son temps pour ne pas répondre bêtement aux interrogations de la bleue.

« - J’ai… J’ai l’impression d’être accusé. La violence et la vengeance ? C’est à ça que tu nous réduis ? »

Les yeux de l’écossais transpiraient de tristesse et de déception. Il ne comprenait pas comment la serdaigle avait pu tenir de tels propos. Elle qui les connaissait, comment pouvait-elle les regarder aujourd’hui de cet œil si craintif ?

« - Tu crois que c’est Alija et moi qui avons décidé de ce qu’il c’est passé cette nuit-là ? Qu’on a pris du plaisir à remonter votre piste ? À risquer nos vies ? »

L’adolescent remonta sa manche gauche jusqu’à l’épaule, dévoilant à son interlocutrice la vilaine balafre qui dévorait son triceps gauche.

« - On avait peur de te perdre sestra, puis peur de finir à notre tour abattus par ce malade. Il voulait nous tuer Abi. Tous. Il est le seul responsable de sa fin. »

Il rabattit sa manche et détourna le regard. Peut-être la Wright avait été maladroite dans ses mots, mais remettre en question l’intégralité de leur amitié plutôt que le seul geste final d’Alija lui avait planté une lame froide en plein cœur.

« - C’était lui, le Mal. En le combattant je ne vois pas comment on pourrait prendre la mauvaise direction. »

L’adolescent soupira, expiant ses émotions qui tentaient de remonter. S’était-il trompé sur celle qu’il considérait comme une sœur ? Faisait-elle partie du triste caste des naïfs ?

James avait toujours les bons mots pour  l'apaiser, mais là n'était pas son objectif. Ses paroles étaient douloureuses, loin de ce qu'elle avait l'habitude d'entendre. La séance de révisions ainsi que son traitement avaient peut être fatigués son ami plus que de raisons et ne s'était pas rendu compte des propos qu'il avait pu tenir précedemment expliquant son état. Shane en s'introduisant dans la forêt avec elle, avait accepté le risque de mourir, mais les circonstances de celle ci la rendait injuste. Elle avait la même vision que James le soir de son affrontement, ce dernier ne méritait pas de vivre et de bénéficier de cette puissance que la nature lui avait offerte mais elle avait longuement réfléchi depuis, sa mort la dérangeait car Alija était probablement derrière elle, ils s'en étaient également tous sortis, même William beaucoup plus atteint que les autres pourrait revivre normalement.

Elle pouvait comprendre la déception de James, mais elle était également surprise de sa réaction. Son discours était à son sens alarmant et il ne s'en rendait pas compte... Ses mots étaient choisis pour légitimer ce qu'il s'était passé alors que des limites avaient été dépassées. Ses larmes redoublèrent. Sa démarche était loin d'être agressive, elle voulait surtout lui montrer les problèmes de son raisonnement.  

- Mais... Tu t'entends James ? Si tu en avais eu l'occasion tu l'aurais également tué ?

N'y avait-il pas de nombreux critères qui entraient en comtpe avant de donner la mort à quelqu'un ?

- L'on parle d'un Sorcier, pas d'un moldu de l'Inquisition. Personne ne sait ce qui l'a poussé à agir de la sorte. Peut être que lui même était victime des créatures qui le parasitaient ?

Mais cela, ils ne le sauront jamais.  

- Je ne remets pas en cause notre amitié, ni même le fait que vous ayez risqué vos vies pour me protéger. Je suis reconnaissante pour ça, vraiment. Je crois en vous et en ce que l'on souhaite faire mais je ne peux pas faire comme si tout ça était normal ! On ne doit pas réagir au Mal par le Mal, pas aussi facilement. Tu comprends ?

Son regard larmoyant chercha celui de James, elle voulait lui faire comprendre sa façon de voir les choses qui était bien plus complexe qu'un simple " No to violence".

-  Regarde ou ça nous mène déjà ? Si le Conseil prend en charge l'affaire et souhaite enquêter, on risque de perdre Alija... Je veux... Je veux vraiment grandir avec vous... Mais il faut que vous me comprenniez...

La violence avait sa place par moment, mais dans ce cas précis, Shane avait eu largement sa dose.

La tête de l’écossais s’agita négativement. Son visage s’était déformé dans une grimace désolée, préparant sa nouvelle position qui allait encore à l’encontre de son amie.

« - Non… Non. Je suis désolé Abi, mais c’est à toi de nous comprendre. »

Lui comprenait son traumatisme, son choc, même son avis sur l’acte d’Alija qu’elle remettait en question, mais elle ne voyait que le Mal. L’Enchanteresse ne réalisait pas le danger qu’était Shane.

« - Écoute-toi. Tu me dis de ne pas réagir au mal par le mal, aussi facilement ? Facilement ? »

James eut une espèce de soubresaut nerveux.

« - Et si j’étais mort ce soir-là, tu pleurerais encore l’acte d’Alija ? Hein ? Et si William m’avait suivi dans la foulée ? À quoi ça c’est joué ? Hein ? »

Au moment de l’acte, Alija ne savait d’ailleurs même pas s’ils étaient encore en vie.

« - Mais le pire, c’est que tu me regardes dans les yeux en me disant qu’il n’est pas à traiter comme un moldu de l’inquisition. Il est PIRE Abi. Un traitre, un confrère qui a décidé de s’en prendre aux siens. »

La guerre que les moldus leur livrait avait un côté compréhensible, mais l’acte de Shane… dégoûtait amèrement la Flamme et ses idées.

« - Il a eu l’occasion de se rendre ou de te laisser partir combien de fois ? Hein ? Et qu’a-t-il choisi de faire ? Réfléchis. Mais si tu préfères lier son manque de lucidité à des théories farfelues sur ses insectes, lui trouver des excuses, alors que de l’autre côté tu pars du principe qu’Alija a agi par… Pur malfaisance... Ce n’est PAS juste. »

James aurait en effet peut-être agi comme Alija ce soir-là dans la forêt, mais le contexte jouait énormément. Même le Serbe n’avait pas dû agir avec le sang-froid que la Wright lui imaginait.

Il fixait son amie, cherchant à retrouver dans son regard une lueur d’espoir quant à la conclusion de cette discussion, qu’il espérait encore pouvoir être positive.

« - Je comprends ce que tu essayes de me dire, crois-moi, mais c’est à toi de comprendre mon point de vue. Si c’est le cas et qu’il ne te plait pas… Je ne changerai jamais. Je suis désolé. »

Abigail connaissait le tempérament de l’écossais, et il ne mentait pas.

Non il ne comprenait pas ce qu'elle essayait de lui dire, sa réaction ne montrait aucun signe qu'il considérait vraiment ses propos, il était borné sur sa position. Abigail avait essayé de lui faire comprendre la dangerosité de ses mots et voulait le voir se questionner davantage mais il y avait dans sa réaction, rien de ce qu'elle espérait. Il lui prêtait des propos qu'elle ne pensait pas, la mettait dans une position ingrate en imaginant des situations qui n'avaient pas eu lieu. Abigail se basait sur la réalité. Celle qui les mettait actuellement dans cette position. Leurs points de vue divergeaient et fragilisaient leur amitié, le Conseil pouvait punir Alija, tout ça pour quoi ? Un acte de vengeance qui n'était pas nécessaire. Voilà ce que résultait de la violence... Elle avait été la première victime de Shane, personne ne s'était soucié de ce qu'elle voulait.

- Tu vois ce que ça crée ? Ce que ça fait de mal agir ? On est en train de se déchirer pour quelque chose qui aurait pu être évité facilement.

Elle regardait James avec déception, elle avait le sentiment de ne l'avoir jamais vraiment connu.

- Je ne te demande pas de changer mais simplement de réaliser que ce n'était pas nécessaire. C'était un sorcier de 17 ans doué ! Il méritait d'être traité comme tel, pas comme ces moldus sans coeur. Nous valons mieux qu'eux.

Et Alija l'avait certainement tué de la manière la plus moldue qui existait.

- Un traître ce sont les sorciers qui se lient intentionnellement avec l'Inquisition, ne mélange pas tout.

Ils n'étaient pas des sauvages par rapport aux moldus et ne devaient pas se comporter comme eux. Elle finit par s'éloigner du lit d'infirmerie de James.

- Ton point de vue est nul, il n'attirera que de la peine et de la souffrance. La preuve James ! Inutile de rappeler que ses larmes coulaient encore Ce n'est pas comme ça que l'on oeuvre pour la communauté sorcière.

Elle récupéra ses manuels, elle n'avait jamais eu autant envie de retrouver sa mère.

- Je ne dirai rien au Magenmagot si jamais.

Elle partit sans rien dire. L'esprit en proie aux doutes, lui comme elle avaient besoin de se reposer et elle estimait ne rien obtenir de ce James. Abi ne souhaitait pas être la gentille sorcière qui ferme les yeux sur tout, elle était triste mais soulagée de rester fidèle à elle même. Elle savait qu'elle faisait actuellement la fierté de son père, cela lui suffisait amplement.

Les yeux écarquillés, la position d’Abigail dans ce débat demeurait inconcevable pour l’écossais. "Un sorcier de 17 ans doué.", Voilà comment elle décrivait Shane après des événements qui avaient failli lui coûter la vie, leurs vies. C’était un monstre, un déchet, un parasite qui n’avait que mérité son sort. Peut-être aurait-il dû la laisser gérer, si cette situation était si facilement évitable ? Il se surprit à le penser, tant son ego était blessé par la réaction de sa camarade en pleurs.

Une peine qui lui déchirait le cœur, mais qui attisait aussi sa colère. Tout cela venait du foutu dégénéré, qui du ciel ou d’on ne-sait-où, devait se frotter les mains en voyant son rêve enfin accompli : la Main se déchirait en conséquence de ses actes insensés.

James la laissa s’en aller sans un mot supplémentaire. Le mal était fait. Lentement, ses mains revêtues de cuir vinrent couvrir son visage jusqu’à se mêler à quelques mèches de cheveux tombantes, puis, dans le silence morbide de l’infirmerie, la tristesse joua de sa mélodie et lui ôta de sa chaleur. Cela faisait bien longtemps que James n’avait pas autant pleuré.