Club de Divination

La réaction typique qu'un adolescent pouvait imaginer d'une mère. Les yeux toujours rivés sur le parc en contrebas, un fin sourire apparut un instant sur les lèvres du serpentard, conscient que sans eux, Madame Wright n'aurait peut-être plus jamais eu la chance de serrer sa fille dans ses bras. C'était pour cette raison qu'ils s'étaient jetés corps et âme dans la forêt, non pas dans l'intention première d'abattre Shane, même si la colère à son égard avait évidemment fait partie de l'équation générale.

Il laissa le silence retomber et observa son ami serbe, à qui il laissait l'initiative. James souhaitait se mettre en retrait en ce début de conversation et prendre la place de spectateur. Ils étaient ceux qui devaient s'expliquer en priorité.

Et les deux serpentards décidèrent de se taire en attente certainement de la suite.. Ce silence donnait la sensation qu'elle était la seule à avoir des comptes à rendre. Elle, allait un peu mieux, mais cela ne semblait pas vraiment les intéresser... Personne n'était installé à sa table, chacun préférait être éloigné d'elle, l'un à sa fenêtre, l'autre à sa propre table, elle avait connu meilleure ambiance. Si elle ignorait que James avait discuté du sujet avec Alija, maintenant elle en était quasi sûre. Mais si elle ne faisait pas le premier pas, personne ne le ferait et puis cette réunion partait d'une bonne intention.

- Désolée Alija, j'aurai du te parler de ce qui me tourmentais plus tôt...

Ses propos semblaient sincères.

- Je ne savais pas comment aborder le sujet, j'avais peur et car j'ai plus l'habitude de me confier à James...

C'était vrai, elle avait plus de facilité pour discuter avec James de ses problèmes. Lui l'écoutait un peu plus et pouvait comprendre ses douleurs. Face à Alija elle avait toujours peur que ce dernier ne la juge, la considère faible et ait honte d'elle.

Abigail non plus n'avait pas demandé s'ils allaient mieux, mais peut-être qu'elle estimait être la seule victime de cette soirée dramatique... L'écossais jouait nerveusement avec ses mains, forçant avec son pouce sur son autre paume en cuir, pendant que ses yeux voyageaient d'Abigail à Alija, puis inversement. Les disputes, les déceptions, les échecs... Une amitié aussi forte que la leur se devait de résister aux épreuves naturelles que subissaient les relations, mais il fallait que chaque protagoniste accepte de faire un pas en avant. On en était encore loin.

Son pas en avant avait déjà été fait de son côté et elle allait en faire un autre. Un autre, pas vraiment, puisqu'elle allait simplement répéter avec peut être des mots différents ce qu'elle avait déjà essayé de faire comprendre à James. La jeune fille allait de nouveau parler avec son coeur. Il lui était difficile de maintenir le regard d'Alija mais elle essaya néanmoins de le capter.  

- Je suis désolée aussi de n'avoir rien fait pour essayer de te retenir. Personne n'était dans son état normal ce soir là, la fatigue, la peur, la colère nous ont fait agir  d'une manière que personnellement je regrette...

Et c'est ces regrets qu'elle aimerait voir en partie chez ses amis, un petit quelque chose pour la rassurer et lui dire que cette situation devait rester inhabituelle.

- Je ne souhaite même pas parler de ce que tu as fait, je veux simplement qu'on se serve de cet évènement pour la suite... La jeune fille émit un petit blanc avant de continuer, elle parlait calmement et espérait des meilleures réactions que " Rien ne me fera changer" Pour moi nous avons été trop loin, le problème était déjà résolu. A l'avenir je veux qu'on réfléchisse davantage avant d'agir, reconnaître lorsqu'un combat est déjà gagné...

Sa semaine chez sa mère lui avait permis de réfléchir davantage sur sa manière de dire les choses, peut être que c'était cela qui lui avait fait défaut face à James... Mais entendre son camarade l'esprit plus apaisé avouer sans remords qu'il aurait fait exactement la même chose lui avait fait perdre son calme. Pour elle, il y avait un travail de remise en question à faire, c'est ce que sa conscience lui intimait.  

- Peut être que vous vous moquez de ce que je suis en train de vous dire, mais je m'inquiète pour vous, je ne veux pas que vous soyez des meurtriers. Pensez aussi à la Main, si nous dégageons une image violente et extrême, je pense que cela peut impacter négativement notre image alors que nos intentions sont bonnes...

Mais peut être qu'Abigail se fourvoyait depuis le début ou alors James et Alija n'avaient pas été suffisamment clairs lorsqu'ils lui avaient présenté leur projet.  

L'écossais, qui avait laissé croitre en lui l'espoir d'une conclusion facile, venait de porter sa dextre à son visage dans un signe d'exaspération flagrante. Il se massa les tempes tout en se cachant les yeux, puis soupira doucement, avant de redresser sa tête en laissant retomber son bras. Ses yeux s'attardèrent sur le serbe et sa réponse, qui comme il l'avait prévu, n'allait sûrement pas plaire en retour. Se tenaient face à lui une main de fer et un gant de velours, et comme depuis toujours, James et son cuir allait devoir jouer l'entre-deux. Il savait qu'une solution existait très certainement pour contenter tout le monde, mais la trouver était un défi de taille tant tout le monde s'ancrait dans sa position. La sienne tendait évidemment plus à rejoindre celle du Zverotić, tant Abigail - à son sens - s'exprimait mal sur le sujet.

« - Alija, elle essaye de te dire qu'elle se fait du souci pour nous. »

Sa place de spectateur n'avait pas longtemps été respectée, mais James sentait qu'il devait intervenir.

« - Mais Abi... »

Une pointe de déception régissait les traits de la Flamme qui laissa un moment de suspens. Le social n'avait jamais été le point fort d'Abigail, mais elle se devait de faire des efforts si elle espérait quelque chose de cette conversation.

« - J'ai l'impression que si je commence à parler, je vais répéter ce que je t'ai dit la dernière fois, alors je vais te poser une question... Penses-tu que ta mère nous voit comme des assassins ? Nous n'allons pas devenir des meurtriers assoiffés de sang Abi, putain mais sérieusement, c'est ridicule. Comment tu peux... T'imaginer des choses pareilles. Et en plus tu parles de réfléchir avant d'agir... »

De la colère était montée dans la voix de l'écossais, qui souffla et s'arrêta là pour le moment. La Wright n'avait visiblement aucune idée de l'urgence dans laquelle ses deux frères avaient agi. La seule et unique personne qui n'avait pas réfléchi ce soir-là, c'était elle. Elle qui avait mené Shane au sommet d'un lieu isolé malgré les avertissements à son égard de ses deux amis. Elle qui avait souhaité régler cela d'elle-même au lieu de prévenir l'école de ses soupçons le lendemain matin. James se gardait de ses paroles par pur amitié, par pur respect.

Alors oui, Shane était mort et avait été exécuté alors qu'il agonisait déjà et que personne ne pouvait prédire s'il allait s'en sortir ou pas, mais tous ses vices l'avaient entraîné à sa perte. Juger Alija sur des actes commis cette soirée-là était ridicule. Les trois années de quotidien partagé semblaient s'être volatilisées dans l'esprit d'Abigail, qui depuis son sauvetage, se montrait plus distante qu'autre chose. James ne se souvenait même pas d'un merci, pas d'un signe de reconnaissance, mais uniquement d'une réticence et de remarques déplacées qui étaient apparues dès son réveil à l'infirmerie. L'ingratitude d'Abigail, à des années lumières de ce qu'il avait pu imaginer, uniquement concentrée sur la mort de Shane qui, de son vivant, avait souhaité les donner en pâture aux créatures de la forêt, commençait à prendre trop de place. Son regard sur elle, d'habitude si admiratif, changeait petit à petit et rien n'indiquait la fin de cette chute libre.

Elle soupira, qu'il était difficile de vouloir parler et exprimer son point de vue à des personnes si fermées et qui ne faisaient pas les mêmes efforts qu'elle pour la comprendre. Tout ce qu'elle disait sonnait donc comme des reproches, l'on tirait que le négatif de ce qu'elle pouvait dire. Tout ce qu'elle disait valait pour eux tous puisque comme elle l'avait répété à maintes reprises, elle croyait en eux et en leur projet et elle souhaitait les accompagner dans leur aventure. Elle voulait simplement mener une réfléxion globale sur le comportement à adopter. Les gestes, les discours exprimés à leur âge lui faisait penser que ses camarades étaient en train de changer et qu'ils pouvaient avoir trop facilement recours à la violence là ou il n'y en avait plus besoin.

James aurait pu lui sortir toutes les reproches qu'il avait à faire, Abigail s'était déjà remise en question et se tenait pour la principale responsable de son enlèvement, elle s'en voulait déjà beaucoup pour tout ce qui s'était passé et aurait pu arriver à ses camarades. Mais à la différence de ses camarades serpentard, elle savait reconnaître ce qu'elle avait pu faire de mal. Pour elle, il n'était pas question ici d'un manque de tact, de paroles maladroites, ses camarades ne voulaient tout simplement pas la comprendre et faisaient peut être même exprès. Maintenant si dès qu'elle leur parlait franchement et exprimait ses inquiètudes ils se braquaient, à quoi servait-elle ? Elle avait beau dire les choses de différentes manières, ils campaient sur leur position sans chercher à y voir plus loin. Comment pouvait-on penser qu'elle les considérait comme des meurtriers après tant d'années d'amitié ? Elles ne voulaient pas qu'ils le deviennent, ce pourquoi elle sonnait la sonette d'alarme, mais même cela paraissait insultant alors que pour elle, il y avait une réelle discussion à tenir et des enseignements à tirer.

Elle était déjà fatiguée de cette conversation alors qu'elle venait simplement de débuter. On se faisait des idées d'elle, la faisait passer pour une ingrate, lui prêtait des pensées qui n'étaient pas les siennes. James avait la mémoire courte concernant ces signes de reconnaissance, les actes valaient bien plus que des paroles et Abigail avait passé de nombreux jours à son chevet en dépit de sa propre fatigue pour lui témoigner de sa reconnaissance. Mais peut être n'était-ce pas suffisant.

- Mais je ne vous vois pas comme tels non plus ! Je souhaite simplement tirer des enseignements pour pouvoir grandir tous ensemble de cet évènement en forêt et éviter à l'avenir de répéter les mêmes erreurs, ça vaut pour moi comme pour vous ! Je comprends que cette situation était exceptionnelle ! Nous avons eu peur, nous étions en colère et jamais je ne vais vous qualifier de meurtrier alors que vous avez sauvé ma vie ?

C'était un taux d'ingratitude qu'elle ne pouvait avoir.

- Je ne veux tout simplement pas que cette situation se répète, que l'on fasse preuve de plus de maîtrise, je ne veux pas qu'avec la Main nous semons la mort... Elle déglutit, elle avait toujours du mal à parler de ce sujet sans complexe. Mais les signes que vous me montrez m'inquiète, vous avez rejoint un club de magie noire aussi, je suis censée penser quoi de tout ça ?

Peut être même que le discours de Lucian Gaunt avait déjà corrompu ses amis...

James décida de rester silencieux, croisant les bras devant son torse tout en soutenant les regards de ses deux camarades. Il comprenait chacune de leur position et avait même été agréablement surpris par les premières phrases d'Abigail, avant qu'elle ne s'empêtre à nouveau dans des histoires farfelues. La Main semer la mort ? S'écoutait-elle parler... Si le fond de son discours pouvait s'avérer juste selon les points de vue, la forme ne convenait pas du tout. Ainsi, il laissa le serbe monter dans les tours et resta muet. James avait le sentiment qu'une réelle dispute pouvait crever l'abcès qui les empêchait d'avancer.

Un mur, elle faisait face à un mur, celui que le serbe avait dressé était encore plus résistant que celui de Shane. Mais comme ce dernier, le serbe ignorait ses propos; elle parlait mais rien ne faisait, personne ne l'écoutait, personne ne la comprenait. Pourquoi s'en faisait-elle pour eux finalement ? Elle avait été pendant une longue année une jeune fille solitaire qui ne se souciait de personne et maintenant elle s'inquiétait peut être plus que de raison sur les comportements de ses amis. Elle était peut être trop bonne et ne devrait pas s'attarder avec des personnes qui se moquaient de leur manière d'agir, de la trace qu'ils souhaitaient laisser dans ce monde.

Ses sourcils se haussèrent allant de surprise en surprise, Alija ne voyait là aucun problème à la création d'un club de magie noire secret dans les cachots de Poudlard, même James l'avait rassuré à ce propos en lui disant qu'ils étaient coincés par leurs aînés.

- Mais je me moque de ce que font Shane, Lucian Gaunt ou professeur Lionheart, ce qui m'importe c'est vous, c'est tout. La magie noire est une forme de magie très puissante dans laquelle ses utilisateurs peuvent se perdre, même si le crepitus existe il n'a pas vocation a être utilisé comme Shane l'a fait et il en a payé les conséquences.

La jeune fille soupira une nouvelle fois, les sourcils froncés également.

- L'on peut faire n'importe quoi avec un sortilège, l'important c'est l'utilisation que l'on en fait. Derrière la magie noire il y a la volonté de blesser sévèrement et faire du mal, ne me dites pas le contraire, il n'y a pas différents usages possibles.

Elle n'arrivait pas à croire qu'elle tenait cette discussion sur cette forme de magie qui était totalement interdite. Qu'est ce qu'Alija cherchait à faire ? Légitimer la magie noire sous prétexte qu'il y avait un seul sort explosif prévu dans leur cursus ? Tout le monde n'était pas aussi fou que Shane pour l'utiliser de cette manière sauf... Des sorciers adeptes de magies obscures, si Shane a utilisé le crépitus de cette maière c'est tout bonnement car il n'avait pas reçu d'enseignements noirs.

- Mais j'ai compris, tout le monde fait des erreurs sauf toi, et surtout il ne faut surtout pas les dire sous peine de passer pour une ingrate. Si l'école et le Conseil apprennent l'existence d'un club de magie noire, ses membres seront renvoyés de l'école voire jugés, votre nom c'est pas Gaunt, il n'y aura personne pour vous défendre vous.

Le nom d'Alija était certes prestigieux mais il ne valait pas autant en Angleterre.

- En tuant un sorcier déjà vaincu dans une discrétion la plus totale tu aurais pu te faire renvoyer de l'école... Je ne te fais pas la morale sur ce que tu as fait, je veux simplement que l'on prenne conscience qu'il faut éviter dans le futur ce genre d'acte pour ne pas créer des problèmes supplémentaires, comme moi j'éviterai à l'avenir de m'isoler avec un garçon sans connaître ses intentions.

Etait-ce si difficile à comprendre ?

- Si tu te moques des conséquences personelles, pense aux autres, même si ça ne se voit pas, je tiens à vous et je ne veux pas vous perdre.

A 16 ans certains des ses actes frôlaient déjà l'illégalité, qu'est ce que cela allait devenir une fois débarrassé des barrières de l'école ? Elle avait mis de côté "l'éthique" de leurs actions, elle avait peut être trop de sensibilité pour que ses camarades ne partagent sa vision des choses. Ils avaient également une conception différente du bien et du mal et c'était cela qui empêchait la discussion d'avancer.

Elle s'était éloignée de lui oui, le temps pour elle de structurer ses pensées, savoir quoi penser de cette situation, se remettre de ces évènements. Abigail n'avait pas la force d'Alija ou de James, le processus de guérison était plus long pour elle, elle était bien plus affectée par la mort qu'ils ne l'étaient. Ce n'était pas simple ce qui était arrivé, il lui avait fallu du temps pour qu'elle daigne parler de ce qui la tracassait et comment lui donner tort ? Les remarques de ses camarades étaient tout ce qu'elle avait évité parce qu'elle savait qu'ils exprimeraient des difficultés à la comprendre. Elle avait joué la montre pour voir si cela lui passait mais c'était plus fort qu'elle, il avait fallu qu'elle s'exprime et voilà ou ils en étaient maintenant.

Pour le reste, elle n'avait pas l'impression de se contredire ni sur le sujet de Shane, ni sur la magie noire. Mais c'était comme ça depuis le début, sa parole ne valait pas grand chose, il était plus facile de lui dire que ses propos étaient incohérents et la faire passer pour une idiote, cela permet d'esquiver le problème de fond. La plupart de leurs sortilèges n'avait pas vocation à être utilisé à des fins meurtrières comme c'était le cas des sortilèges de magie noire qui visaient directement l'intégrité physique des sorciers ou sinon leur mental. Elle parût surprise que Lionheart ait raconté cela à Alija mais soit, il n'allait pas commencer à lui mentir tout de même. Un autre débat se lançait dans le problème principal, ce qui la fatiguait encore plus. Si Alija n'arrivait pas à voir le problème de la magie noire, alors elle ne pouvait rien faire pour lui.

Elle secoua la tête dépitée.

- Concernant Shane, les deux vont ensemble mais c'est plus simple de dire que je me contredis, t'as du mal à comprendre que j'ai eu du mal à tolèrer ton geste alors j'ai parlé des conséquences de celui ci pour essayer de te faire réaliser d'une autre manière que c'était stupide d'agir de la sorte. Mais bref, je perds mon temps.

La jeune fille rangea les affaires qu'elle avait déposé sur sa table.

- Faites ce que vous voulez. J'arrête de me faire du souçi pour vous.

Revenir sur le sujet de la magie noire était stupide. Abigail ne souhaitait pas perdre davantage de temps avec quelqu'un, qui lui expliquait que la magie noire n'avait rien de si différent que le magie classique. Il se rassurait comme il le souhaitait, mais son discours sur elle ne passerait pas. Elle n'était pas chercheuse en magie noire et n'avait que 15 ans, elle n'avait pas la prétention de tout savoir mais si des sorciers plus qualifiés qu'elle ont prohibé l'usage de la magie noire, c'est qu'il y avait une bonne raison. C'était foncièrement mauvais et Alija quoi qu'il pouvait lui dire, l'acceptait.

Elle jeta un coup d'oeil à chacun, avaient-ils quelque chose à ajouter ? Ou lui accorderaient-ils un départ tranquille ? Cette discussion lui faisait plus de mal que de bien, il était temps de reconnaître qu'ils avaient une vision différente et qu'ils ne s'étaient finalement jamais vraiment compris. Rien de positif ne sortirait de cette conversation et même si c'était le cas, rien ne pouvait plus être comme avant.

Dans l'ombre de la conversation, James assista au spectacle qu'il attendait. Ses deux amis se délièrent enfin et gagnèrent en franchise, en colère, le tout mené par une Abigail qui semblait enfin assumer sa vision des choses et dire ce qu'elle avait sur le cœur. Cette crainte qu'elle exprimait à l'égard du binôme masculin l'avait peut-être empêchée de s'exprimer correctement au départ, puisqu'en prenant trop de pincettes pour ne pas brusquer les deux serpentards, tout l'inverse s'était produit. Mais si la discussion pouvait paraître bien plus corrosive qu'elle ne l'avait jamais été, l'opinion de l'écossais s'était métamorphosée grâce au recul qu'il avait pris. James comprenait les deux points de vue, percevait les différences de perception et savait reconnaître les défauts de chacun de ses deux compagnons. Son frère, sa sœur, et lui-même partageaient en fait un énorme point faible qui paralysait la situation et l'empêchait de se décanter. James avait mis du temps à se l'avouer.

Aux portes de l'explosion, la Flamme sortit enfin de son trou et raviva l'échange, soufflant sur les braises d'un feu mourant pour tenter de le relancer.

« - Alija. » fit-il d’une voix claire mais pas autoritaire, accompagnant son interpellation d’un regard appelant à l’apaisement.

« - Abi, repose tes affaires. »

James soupira, s’élançant du rebord de la fenêtre pour entamer une marche au sein du club. Ses yeux allaient et venaient entre ses amis. Quelque chose s’était en effet brisé entre nos trois protagonistes. D’abord chez James à l’infirmerie, puis maintenant chez Abigail et Alija au sein du club de Divination qui les avait tant unis. Mais parfois, il était important de détruire pour mieux reconstruire… La volonté d’un bâtisseur refusait de voir son œuvre disparaître ainsi.

« - Nous ne sommes pas bêtes, pas vrai ? »

Leur intelligence les avait autrefois rapprochés et liés, selon James.

« - Mais putain qu’est-ce qu’on est susceptible. On ne s’écoute pas, on s’attarde sur ce qui nous pique sans comprendre le reste. Il m’a suffi de me taire dix minutes pour vous voir exploser, alors que… Bordel, pour moi, vous avez tous les deux raison une phrase sur deux. »

Et James avait ainsi compris que s’il avait pris part à cette conversation, lui aussi aurait fini blessé et à cran. Il se tourna vers le Serbe.

« - Ne jouons pas aux idiots et sur les mots, on sait à quoi sert la magie noire. On sait très bien, toi comme moi, de quoi Abigail peut avoir peur. Acceptons qu’elle nous parle de ses craintes sans nous brusquer à chacune de ses phrases. »

Il savait son ami vexé et comprenait sa réaction, puisque lui-même aurait pu avoir la même s’il avait été à sa place. Il l’avait d’ailleurs été. James, au milieu des deux esprits, essayait de colmater les brèches et d’apaiser les tensions. Il était persuadé qu’un terrain d’entente existait toujours. Son regard se déposa sur Abigail.

« - Et toi Abi, accepte que le monde dans lequel on vit EST violent. Nous ne sommes pas, et nous ne serons jamais des assassins. Si tu nous vois ainsi, va-t’en, mais je sais que ce n’est pas le cas. Alors apprend à nous faire confiance et ne nous empêche pas d’être comme on est. Non, nous ne laisserons jamais personne s’en prendre à nous sans représailles… Mais bordel, ce n’est pas pour autant que l’on va semer la mort autour de nous. Tu en es consciente, pas vrai ? Tu nous connais.  »

James ne la lâchait plus du regard, brûlant d’un feu inextinguible. Il refusait de perdre la merveilleuse famille qu’il s’était bâti, héritant d’un frère et une sœur qu’il n’avait jamais eu.

« - On a vécu un truc qui devait nous unir, faisons en sorte que ça le fasse. »

Il se tut, jaugeant ses deux camarades sans un sourire. Ils se devaient de fournir des efforts chacun de leur côté pour avancer. James était persuadé qu’au fond, Abigail et même Alija souhaitaient la même chose que lui. Le lien était trop fort.

Le cycle était ainsi bouclé, faisant voler en éclat le dernier maillon de la chaîne qui tenait jusque-là. Mais James ne s'attendait pas à ce que la situation soit simple, ni à ce que Alija se contente d'hocher la tête pour lui donner raison. Car rien de ce qu'il venait de dire n'était faux. Simplement, le Serbe refusait de voir ce qui pouvait être vrai dans l'autre camp, trop vexé et braqué pour trouver la force d'en parler. L'écossais s'était mis sur son chemin avant qu'il n'atteigne la porte, répondant avec la même véhémence au Zverotić.

« - Elle est faible mais elle est là, pendant que toi tu prends la fuite. PUTAIN ALIJA, c'était tout ce que ce chien voulait en nous attaquant. Si tu pars maintenant, Shane a gagné. Reste.»

Les narines retroussées, le regard profondément planté dans celui du serbe, James avait une main devant son torse comme pour lui demander de ne pas avancer davantage. Des embrouilles et des montées de ton, ils en avaient vécu des tonnes en quatre ans, mais cette dispute était accrochée à un mal bien plus profond, et faisait évidemment plus de dégâts que les autres.

Elle ne voulait pas en arriver là, voir ses camarades se disputer de cette force l'embêtait puisque c'est elle qui avait apporté cette mauvaise ambiance. Leur monde était violent, Abigail comme ses amis quittait doucement l'enfance et faire face à la réalité lui était difficile, ce pourquoi elle avait voulu préserver ce petit cocon le plus longtemps possible. Hélas en grandissant, ils n'avaient peut être plus la même façon de voir les choses. Peut être était-elle faible, Abigail n'en avait pas l'impression. Alors peut être qu'elle se trompait et que pour changer les choses il fallait absolument passer par cette case, arrêter de se soucier des autres et de sa manière d'agir mais c'était difficile à concevoir pour la Serdaigle.

Ce qui était plus difficile à concevoir, c'était que les Serpentard se déchirent de sa faute, James n'avait jamais pris son parti, il avait seulement entendu certains de ses arguments qu'Alija ne souhaitait pas reconnaître. Le binôme lui faisait peur.

- STOP ! Alija s'il te plait !

La jeune fille se rapprocha des deux garçons et essaya d'attraper délicatement la main d'Alija. Comme de nombreuses fois ces dernières semaines, des larmes commençaient à perler sur son visage.

Déçu mais pas surpris, James sentit la situation lui glisser entre les doigts jusqu’à lui échapper totalement. Il savait qu’à ce stade, le serbe ne pouvait plus être raisonné et qu’aucun de ses mots n’atteindrait sa carapace de fer. Un sérieux défaut qu’Alija trainait depuis qu’il le connaissait et dont il ne percevait aucun signe d’évolution.

James venait de légèrement pivoter, ouvrant la route au serbe qui pouvait quitter le lieu s’il le souhaitait. Au même moment, Abigail prit la parole et se rapprocha d’eux, dans une initiative que l’écossais jugea inutile voire malvenue, mais peut-être se trompait-il…

Elle regrettait l'ampleur qu'avait pris leur discussion et s'en voulait d'avoir poussé ses amis au delà de leurs limites. Aussi, elle fut soulagée qu'Alija accepte sa main tendue, elle ne voulait pas le voir partir de cette manière. Même s'ils avaient des différends et qu'Abi n'avait pas la même force mentale que le serbe, elle l'appréciait. Elle réalisait peu à peu qu'elle avait été dure avec ses sauveurs mais tant de choses s'étaient déroulés ces dernières semaines. Entre son enlèvement, la mort de Shane et le geste d'Alija lui étant associé, les accusations de Dante, son témoignage face à Lionheart, elle ne savait pas quelle position elle devait adopter.

Avant que ce moment ne devienne trop gênant, elle récupéra sa main pour essuyer ses yeux et être aussi forte que ses camarades.

- Non je n'ai jamais voulu ça... Je suis désolée si je vous ai blessé. Je ne voulais pas vous faire de mal... Ne vous disputez pas à cause de moi, s'il vous plait.

Légèrement en retrait, James assista silencieusement à la courte scène pleine d’émotions. Observer ses deux amis se comporter ainsi le toucha profondément, et même si le Zverotić s’en allait déjà suite au retrait trop timide d’Abigail, l’écossais avait eu le temps de percevoir les signaux positifs de cet échange. Alija disparut alors sans être retenu, et son ami serpentard s’occupa de retenir Abigail si elle désirait le rattraper encore. Il valait mieux pour tout le monde que cela s’arrête ici. James savait maintenant que le groupe n’était pas mort.

Plusieurs secondes s’écoulèrent, le temps que le serbe avait besoin pour partir assez loin pour ne plus rien entendre.

« - Tout va bien Abi, calme-toi. » fit-il d’un air se voulant rassurant.